Trinités

Trinités est un JdR publié depuis 2006 chez les XII singes et à la gamme particulièrement fournie. Il vient de connaître une seconde édition cet été*. Il s’agit d’un jeu d’occulte contemporain qui n’est pas sans rappeler le mythique Nephilim, mais qui n’a pas tardé à se tailler une réputation. Auteur plutôt discret mais néanmoins actif depuis une demi-douzaine d’années et ayant déjà contribué à une bonne vingtaine de publications, Jérôme « Loludian » Barthas fait partie des nombreux auteurs ayant travaillé sur cette gamme pléthorique. Après avoir pris le temps de patiemment faire ses armes sur cette dernière, à l’ancienne dans le bon sens du terme, il a participé un peu à Tenebrae et a eu l’occasion au printemps dernier de sortir son propre jeu chez les XII singes, un post-apo positif et optimiste : Krystal.

On aura très probablement l’occasion de revenir sur ce dernier. En attendant, Jérôme nous fait part des 5 trucs qu’il a pu apprendre en travaillant sur Trinités !

Pour avoir plus de détails sur Trinités : http://www.legrog.org/jeux/trinites
Pour lire la biographie de Jérôme : http://www.legrog.org/biographies/jerome-loludian-barthas
Pour découvrir le site de Jérôme : http://loludian.free.fr/wordpress/

 

1 – Attention ça va couper !

 

Écrire, c’est savoir respecter le budget de signes. L’une des choses les plus difficiles à estimer lorsqu’on commence à écrire, c’est le nombre de signes de ce qu’on va écrire.
Quand on vous commande un texte de 15 000 signes, c’est 15 000 signes. Pas moins, mais pas plus ! En livrer moins, c’est rare : on a toujours beaucoup trop de choses à raconter dans le nombre de signes imparti. En livrer plus, c’est en revanche très courant. Ainsi, écrire suffisamment de texte pour remplir le contrat et pas trop pour ne pas dépasser, c’est un vrai exercice d’équilibriste parfois difficile quand on débute.

Trinités m’a appris à estimer la longueur des textes avant de les écrire. À jauger combien je pourrai consacrer à la description d’un décor majeur, à combien je devrai limiter la description d’un groupe d’adversaires, si oui ou non j’aurai la place de mettre cette scène optionnelle qui rajouterait de la saveur au scénario.

Mais outre l’aspect « contractuel » du nombre de signes à rendre, le problème lorsqu’on donne trop de texte, c’est que, généralement, il faut faire des coupures.

Il y a deux cas de figure :
1) C’est votre éditeur qui coupe. Et parfois, dans la précipitation, sans le recul nécessaire, certaines coupes donnent des résultats hasardeux ou donnent une autre orientation à votre texte (plus sombre / certains aspects trop survolés qui deviennent difficiles à comprendre / des encarts qui disparaissent), qu’on vous reprochera peut-être à la lecture. Et là, pas question de renvoyer la balle à l’éditeur : c’est vous qui n’avez pas respecté votre quota de signes.
2) C’est vous qui coupez. Et c’est un vrai crève-cœur de couper des scènes entières, des personnages truculents ou encore des morceaux de contexte que vous avez écrits après vous être renseigné des jours à la bibliothèque universitaire.

Comment éviter le dépassement de signes ? Il y a plusieurs techniques. Pour ma part, avec le budget de signes alloué, j’estime la place que vont prendre les différents éléments de mon texte. Prenons l’exemple d’un scénario de Trinités de 30 000 signes : je sais que je vais avoir deux adversaires de nature différente, un big boss et un second couteau. Je sais déjà que le big boss va me coûter 3 000 signes (entre ses caractéristiques, sa description et sa tactique d’affrontement), le second couteau seulement 1 000. L’introduction du scénario va demander dans les 2 000 signes, il me reste donc 24 000 signes. Ce qui me laisse la place pour deux actes de 10 000 signes, et 4 000 signes pour l’épilogue.

Grâce à cette répartition, je peux m’atteler à la rédaction et, dès que j’approcherai des limites fixées, je saurai que je suis en train d’empiéter sur autre chose. À moi alors de choisir sur quoi (est-ce que je réduis la description du big boss ? est-ce que je réduis l’acte 2 ?). Cette gymnastique permet d’éviter les surprises.

 

2 – La philosophie du jeu

 

Écrire, c’est se conformer à la vision de l’éditeur ou de l’auteur principal. Les XII singes produisent généralement des jeux faciles à prendre en main et dans lesquels les personnages sont hors du commun. Trinités en est l’exemple parfait. Pour cela, il y a plusieurs règles à respecter quand on rédige pour Trinités. Les scénarios doivent être didactiques par exemple (on guide le MJ en précisant les tests de compétence à demander aux PJ, les caractéristiques de tous les PNJ susceptibles d’être rencontrés en situation de conflit sont présentes). Les PJ ne doivent pas se sentir lésés, car Trinités doit pouvoir se jouer de manière épisodique. Ainsi il n’est pas question que des PJ perdent des pouvoirs dans le cas nominal d’un scénario. Pour l’anecdote, le scénario Ex nihilo du Livre VII : les services occultes devaient commencer par la perte de tous les pouvoirs des PJ. Cela a été refusé, et je suis parti sur une variation de pouvoirs plutôt qu’une disparition. Ainsi pour écrire sur Trinités (et pour n’importe quel jeu), j’ai appris à cerner la volonté éditoriale avant de commencer la rédaction.

Certains jeux ont une bible qui indique les éléments importants, c’est une note d’intention à destination des auteurs (et souvent de l’éditeur) pour que tout le monde sache dans quelle direction aller. Pour Trinités, il n’y a pas eu de document de ce genre, mais un accord tacite et de nombreuses discussions entre éditeur et auteurs.

 

3 – L’archéologie de textes

 

Écrire, c’est rester cohérent avec l’existant. Lorsqu’un jeu a déjà des textes parus, il est essentiel de s’y conformer. Outre la bible dont j’ai déjà parlé, j’ai appris, en travaillant sur Trinités, à faire ce que j’appelle de l’archéologie de textes. Lorsque je rédige du contexte ou un scénario, j’ai toujours une phase préliminaire de recherches documentaires (pour me renseigner sur les lieux, les évènements, la culture autour de l’élément que je traite). Avant cette phase préliminaire, j’ajoute généralement une phase d’archéologie de textes, qui consiste à relire tous les passages en rapport avec l’élément que je traite. Trinités est un beau bébé de douze livres et douze livrets, sans compter les dizaines de PDF. Retrouver dans tout cela si le sujet du zoroastrisme a déjà été traité, ou reconstituer l’évolution année après année du Harpail (un groupe d’adversaires dans le jeu), c’est un vrai travail !

 

4 – Les remarques

 

Écrire, c’est s’exposer aux remarques, en premier lieu de son éditeur. On n’écrit jamais du premier coup un scénario ou un gros morceau de contexte qui sera publié tel quel. Il y a toujours des formulations meilleures ou des éléments à mieux expliquer.

J’ai appris, sur Trinités, à accepter les remarques, à les analyser et à corriger pour faire correspondre les textes à la vision de l’éditeur. Écrire pour comprendre ce qu’on a écrit, c’est facile. Écrire pour que le plus grand nombre comprenne, c’est plus complexe, car il faut un autre état d’esprit. Faites relire votre texte à dix personnes, chacune fera de nouvelles remarques par rapport aux autres.

 

5 – Le travail dans l’urgence

 

Écrire, c’est parfois accepter de travailler dans l’urgence.

Retranscriptions libres :

« Salut Lolu, tu en es où du scénario ? Le bouquin part en impression dans deux semaines, donc ce week-end il faut absolument que tu l’aies rendu.
– Euh… En fait la dernière fois on avait discuté de mon idée de scénar, et ça n’avait abouti à rien, car il y a des points qui bloquaient. Du coup j’ai pas avancé.
– Tu peux m’en faire un autre du coup avant ce week-end ?
– Euh… je me marie la semaine prochaine, j’ai deux trois trucs à préparer mais… Bon OK, je vais voir. J’ai cette idée de synopsis ci-joint, ça te va ?
– Super ! »

« Salut Lolu, j’ai un auteur qui m’a lâché. Tu pourrais me faire un petit scénario en urgence ?
– En urgence genre pour quand ? Dans un mois ?
– Non, genre pour dans trois jours.
– Euh… Alors comme ça j’ai le synopsis ci-joint comme idée, ça t’irait ?
– Super ! »

Bref, vous l’aurez compris, parfois, il faut écrire dans l’urgence. Parfois, ça donne des résultats peu engageants. Mais souvent c’est un moteur incroyable, qui vous pousse dans vos derniers retranchements. Il faut alors puiser de l’inspiration un peu partout. Dans les deux cas que j’ai cités, j’aurais pu dire non, bien sûr (surtout pour le mariage). Mais c’est exaltant de se donner ce genre de challenge. Non seulement ça permet d’améliorer sa réactivité, mais ça donne confiance en soi. Et quand on écrit, il est important d’avoir confiance dans ce qu’on fait, d’y croire.

Note : Jérôme est un des principaux artisans de la seconde édition de Trinités, mais aussi un des premiers auteurs à avoir accepté de participer « aux 5 trucs ». Il a rédigé ce billet en avril, soit plusieurs mois avant que cette dernière ne soit annoncée. Aussi, vous n’y trouverez aucune allusion ci-dessus.

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