Simulacres

Simulacres est tout simplement un jeu que vous êtes obligé de connaître si vous pratiquiez le jeu de rôle en France dans les années 1990. Créé par Pierre Rosenthal à compte d’auteur au milieu des années 1980 avant de devenir le système maison de la première incarnation de Casus Belli, Simulacres a connu au moins sept éditions au fil des ans, et bien plus de suppléments. Certains d’entre eux sont devenus mythiques (Capitaine Vaudou, La Fleur de l’Asiamar), d’autres sont passés certes un petit plus inaperçus, mais semblent aujourd’hui avoir été méchamment en avance sur leur temps (Aventures extraordinaires et Machinations infernales). De la même façon, je ne suis pas sûr qu’il soit réellement nécessaire de rappeler qui est Pierre Rosenthal, mais pour les deux du fond, disons juste que c’est le papa de Simulacres et du très personnel Athanor, mais qu’il est surtout connu des rôlistes pour avoir été pendant des années le rédacteur en chef des hors-séries de Casus Belli et l’assistant de Didier Guiserix, le rédacteur en chef, pour les numéros classiques. Toujours est-il qu’il vient donc nous présenter 5 trucs qu’il a pu apprendre, notamment en travaillant sur Simulacres !

Pour plus de détails sur Simulacres : http://www.legrog.org/jeux/simulacres
Pour lire la bibliographie de Pierre : http://www.legrog.org/biographies/pierre-rosenthal

 

Introduction

 

Bonjour tout le monde, je vais être plutôt lapidaire et partager certaines réflexions venues après coup d’expériences dans ma courte carrière de créateur de jeux de rôle. Ce n’est pas un vrai essai, il n’y a pas de réflexion globale, le plan et l’écriture ont été faits en vitesse dans un moment de courte liberté.

Bref il y a sans doute plus à critiquer qu’à analyser. Mais si un ou deux points vous ouvrent une piste de réflexion, ça sera déjà ça !

 

1 – Montrer, oui, écouter oui, se laisser influencer pas forcément.

 

Quand j’ai créé Simulacres en tant que mini plaquette de réflexion sur les jeux de rôles simples, on était entre Légendes celtiques, D&D et Space Opera. Il y avait Cthulhu, mais pas encore Vampire.

En vue de la publication comme mini fascicule inséré dans un album de la BD Aleph Tau, j’ai rencontré Alexandre Jodoroswski. C’est lui qui m’a suggéré une matrice de résolution 4×4 au lieu de mon idée initiale de 3×3. Il faut dire qu’il était en plein début de l’Incal avec John Diffool déchiré entre quatre sous parties de lui-même. Je l’ai écouté, je n’aurais peut-être pas dû.

 

2 – Équilibrage et différence entre un personnage de roman ou de jeu.

 

Je ne regrette pas complètement cette décision, car elle allait dans mon sens d’amener les parties de jeux de rôle vers moins de Physique (Corps) et plus d’autres modes de résolution (Esprit, Cœur, Instincts). Toutefois, même dans les jeux qui avantageaient d’autres modes de résolution comme la magie, la technologie ou le commandement (Capitaine Vaudou, Cyber Age), la prépondérance du Corps pour l’action et la survie amenait souvent les joueurs à un choix basé plus sur le mécanisme que sur le rôle, un choix que ne ferait pas un écrivain en créant des antihéros, mais que le joueur aura tendance à faire.

On peut toujours remédier à cela par un autre déséquilibre, solution que proposait AD&D en mettant des magiciens souffreteux à bas niveau et surpuissants à hauts niveaux.

Je ne pense pas qu’un jeu de rôle doive être équilibré, je suis même contre, car la dynamique vient de la différence entre personnages, mais les opportunités d’agir sur l’histoire doivent être équivalentes.

 

3 – Le système de jeu a de l’importance, même si elle n’est pas visible

 

Le système de jeu a de l’importance car il influence la façon de jouer, même si on ne s’en rend pas compte de prime abord.

Quelques exemples très simples venant de jeux hyper connus, avant de parler des miens :
– D&D : le fait que les classes de personnages soient déséquilibrées et qu’elles aient de grosses lacunes pouvant mettre en jeu la survie d’un personnage isolé amène forcément à une norme de groupe avec personnages complémentaires. La montée en puissance par l’expérience qui se gagne en tuant des monstres ou en trouvant des trésors dans les éditions d’origine a formaté la vision première du jeu. Toutefois, même le côté manichéen de l’alignement a amené les joueurs à se positionner sur les motivations de leur personnage plutôt que des joueurs ;
– L’Appel de Cthulhu : La règle essentielle n’est pas la Santé mentale, qui n’est qu’un curseur, mais le mécanisme de sa perte qui s’auto-alimente en rétroaction : plus on perd plus on a des chances de perdre. Pour moi à Cthulhu, la peur que pour ma part je n’ai jamais pu faire ressentir directement aux joueurs est transférée non sur la situation, mais sur la peur que ressent le joueur de voir son personnage devenir fou et donc de le « perdre ».

En faisant des initiations au jeu de rôle en conventions, j’ai pu remarquer que Simulacres passait avec beaucoup plus de facilité auprès des néophytes complets. Le côté symbolique ou le fait qu’on leur demande de définir comment ils agissaient marchait bien. A contrario, le Basic Role Playing marchait mieux avec les adultes moins joueurs qui étaient rassurés par le côté notation et pourcentage proche de leur habitude des sondages.
 Simulacres : les niveaux de talents et les Énergies font passer le jeu d’un mode générique (dans la version de base) à une gestion de l’héroïsme de son personnage, donnant un statut de vrais « héros » aux personnages joueurs dans la version « avancée ». En résumé, plus un talent est fort, plus on a des chances de résultats extraordinaires, ceci amplifié par les Énergies (sortes de points de destin).
– Athanor : la création, évolution et gestion du personnage sont basées sur la génétique et les théories sur l’inné et l’acquis. On reste dans le thème du jeu, mais la lourdeur de gestion rendait la résolution des mutations et de l’évolution des personnages bien trop complexes.

 

4 – Ne pas négliger les facteurs économiques

 

Il ne faut jamais oublier les facteurs économiques, même et surtout si on veut rendre son jeu économiquement accessible.

Quand j’ai créé la gamme Simulacres en magasin, j’ai convaincu l’éditeur Jeux Descartes que la formule suivante serait viable :
– une couverture qui ferait écran de jeu (recto verso) ;
– un livret de 64 pages qui proposerait un prêt à jouer avec les règles intégrales, une description détaillée de l’univers, six personnages prétirés et une campagne complète ;
– le tout pour un prix entre 3 à 4 fois inférieur à celui d’un livre de jeu de rôle « traditionnel ».

Mais je n’avais pas prévu la réaction des boutiques. Presque toutes m’ont dit à la sortie de Cyber Age : «Pourquoi faire l’effort de mettre en avant Cyber Age qui va nous rapporter quasi rien, et de toute façon quatre fois moins que Cyberpunk ? De plus, les clients ont plus confiance en un jeu qui est au même prix que D&D ou Cthulhu qu’en ce jeu qui doit forcément être moins bien puisque moins cher ».

Cyber Age et Capitaine Vaudou se sont au final très bien vendus (3000 ex chacun), mais la version kiosque de Cyber Age, encore moins chère, s’est vendue vendu entre 15 et 22 000 ex (je n’ai plus les vrais chiffres en tête).

Autre exemple. Pour tirer les prix, Siroz Productions avait trouvé un imprimeur chinois à prix imbattable pour Athanor. Si les livrets intérieurs étaient de bonne qualité, la boîte du jeu n’a pas été suivie et, à la livraison, la qualité du carton était si mauvaise que l’on ne pouvait pas mettre deux jeux l’un sur l’autre ou dans un rayonnage sans que la boîte s’affaisse et se détruise. Le jeu avait sans doute d’autres défauts (trop complexe), mais ce défaut de fabrication lui a nui au moins tout autant.

 

5 – Un jeu en licence ouverte doit être attractif pour les autres

 

Quand je suis allé à la Gencon avant la sortie de D&D3, j’ai rencontré le chef de projet qui avait convaincu Wizards de proposer le jeu en OGL (Open Game License). La réflexion de base était que les livres de base rapportaient des sous, mais que 80 % des campagnes, univers et scénarios en perdaient. C’était donc une décision « marketing », mais que j’avais trouvé intéressante qui avait amené à proposer les règles de base de D&D en OGL en partant d’un principe inspiré du logiciel libre et de Linux.

Pour ma part j’avais déjà publié Simulacres (HS CB n° 1) et je voulais que le système serve à une propagation et à une diffusion du jeu de rôle en général. Ma proposition de donner gratuitement le système à toute association venait de là. Oui c’était avant D&D. Et, oui, j’ai les chevilles qui enflent.

Que ce soit pour Wizards ou pour moi, il fallait favoriser la diffusion, mais aussi garder la référence. Pour Wizards c’est passé par l’obligation de diffusion des règles ou de signaler la version WoTC disponible avec un rappel de copyright et de logos. Le but étant que l’opération profite à la fin économiquement à Wizards, l’éditeur du matériel bénéficiant lui de la renommée de D&D.

Pour Simulacres, il n’y avait aucune obligation, à part celle de ne pas créer de structure professionnelle et commerciale, mais de rester dans un domaine amateur, associatif ou semi-commercial. J’ai plus tard assoupli cette obligation pour de toutes petites maisons d’édition. En revanche, si on m’envoyait les versions amateurs des jeux utilisant le système Simulacres et que l’on ne s’appropriait pas les concepts à son usage exclusif, je donnais la contrepartie suivante : l’autorisation de l’utilisation du logo officiel, et la mention du jeu ainsi que les modalités de commande dans Casus Belli. Ceci a donné naissance à environ une cinquantaine de jeux très variés dont le plus connu a sans doute été Bernard et Jean, un JdR parodique entre Starsky & Hutch et Les Gendarmes à Saint-Tropez.

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