Et une pression pour la 12, une !

Voici un nouvel article MJ Only mis ici pour archive. Cette fois-ci c’est celui sur la pression parue dans le Casus Belli d’Octobre 2010 et dont le thème était le Noir.

Les différents articles de ce numéro donnent de nombreux éléments pour jouer du Noir. Il reste toutefois un point essentiel, qui dépasse de loin les limites du genre : mettre la pression aux joueurs. Car que ce soit dans les allées de Brooklyn, du Metroplexe, ou d’une cité médiévale, vos PJ seront seuls face à la ville et ne pourront se fier à personne…

Sur la brèche

 

Certains genres se caractérisent par une ambiance oppressante où les personnages sont confrontés à une adversité omniprésente. Non seulement leur tâche n’est pas aisée mais tout semble se liguer contre eux et pouvoir basculer à tout moment. Ils ne peuvent plus faire confiance à personne, et la question n’est pas de savoir s’ils vont être capables d’éviter les ennuis, mais de rester debout (ou de se relever) une fois qu’ils y seront confrontés. Ils ne pourront pas se permettre de perdre le fil des aventures de leurs personnages. Toute erreur, tout moment de déconcentration se paye comptant. Sur ce type de partie, c’est la pression qui va favoriser l’implication et l’immersion des joueurs – et leur permettre de l’apprécier davantage.

Ce type d’ambiance est très loin d’être l’apanage d’un genre unique, ou de ses formes les plus classiques incarnées par des jeux comme Cthulhu, Hellywood ou Cyberpunk. Il s’agit d’un traitement et d’un ton, donc d’une façon de mener, mais, comme souvent, le maître mot est d’éviter la surenchère et de n’utiliser ces ficelles que si elles accroissent le plaisir des joueurs pendant la partie. Il existe trois façons principales d’instaurer ainsi de l’intensité par la pression, notamment en ciblant le joueur plus que le personnage : la difficulté, la méfiance et le suspense.

Rendez-leur la vie difficile !

 

Le moyen le plus intuitif pour augmenter la pression est de jouer sur la difficulté de ce que vous présentez à vos joueurs. Ironiquement, à part dans les jeux à niveaux où elle est intrinsèque, cette notion pourtant universelle est rarement mise en avant. Proposez des challenges trop ardus et ils se décourageront ou seront frustrés, trop faciles et ils s’ennuieront. Entre les deux, il vous appartient de jongler entre les défi s réellement tendus, qu’ils seront fi ers d’avoir remportés et dont ils se souviendront, et les moments de récupération, nécessaires pour mettre en valeur les premiers.

– Évitez-leur les conflits triviaux : Les sbires anonymes qui meurent par paquets entiers sont utiles dans un registre pulp, mais contre-productifs pour instaurer un climat oppressant. À part une éventuelle menace cachée, chaque opposant doit être identifiable, râler, grogner, saigner, jurer, être là pour une raison, faire avancer l’histoire, et donner l’impression de pouvoir, sinon les tuer, au moins sérieusement les handicaper.

– Confrontez-les à des choses en apparence impossible : monstre immunisé aux armes non-magiques, criminel dont ils ne pourront jamais prouver la culpabilité, ennemi supérieur en nombre, etc. L’objectif n’est pas de les décourager, mais de les forcer à battre en retraite et à aborder le problème différemment. Ils ne peuvent pas faire tomber la mafia ou les ripoux du NYPD, mais peuvent les menacer (la presse sera avertie s’il leur arrive quelque chose) et négocier une trêve.

– Ne mordez qu’à la gorge : les joueurs savent que les points de vie sont là pour être perdus et qu’il n’y a pas à s’inquiéter. C’est la « monnaie » avec laquelle ils achètent leur progression et payent leurs différents choix. Attaquez-vous plutôt à ce qui leur coûte vraiment, ce à quoi ils tiennent et qu’ils ne pourront pas récupérer aussi facilement : niveaux, équipement, relations, réputation, etc.

– Pas de répit : même inconsciemment, il y a certains lieux que les joueurs considèrent comme de véritables sanctuaires : chez eux, l’Elyseum, la Batcave, le QG, etc. Dynamitez-les. Faites débarquer la police ou les méchants et montrez leur qu’ils ne sont en sécurité nulle part. Même le repos doit se conquérir.

– Un échec est aussi intéressant qu’une réussite : ne diminuez pas les échecs. Tant que vous ne ridiculisez pas les personnages et que l’action peut raisonnablement échouer, mettez-les en scène et relancez l’histoire. Luke Skywalker n’aurait jamais su que Dark Vador était son père s’il avait réussi son jet de discrétion.De même, n’hésitez pas à mettre en scène des victoires en demi-teinte, temporaires ou qui ont exigé un tel sacrifice qu’elles en semblent dérisoires.

– Abusez leurs sens : les sens d’un personnage correspondent généralement à ce que le meneur décrit. Commencez à changer vos descriptions en fonction de son état de santé ou d’esprit, voire donnez clairement deux versions différentes d’une même scène à deux joueurs différents. Ils monteront instantanément en pression. Forcez-les à faire des choix : mettez-les face à leurs valeurs et leurs contradictions.

– Forcez-les à se salir les mains : il y a longtemps qu’un combat ordinaire ne fait plus frémir personne. Par contre pour de nombreux joueurs, faire un choix difficile avec des enjeux élevés est une situation beaucoup plus tendue. Surtout si ce choix oppose, par exemple, les convictions et les intérêts du personnage, ou ceux du groupe. C’est une chose de tenter le paladin avec toujours plus de pouvoir, mais c’est autrement plus intéressant de l’amener à la déchéance justement pour poursuivre son idéal ou faire le bien.

+ Faites les assumer : une fois les décisions prises, encore faut-il en supporter les conséquences. Il doit toujours y avoir des effets visibles de leurs prises de position : sur eux, la façon dont ils sont perçus, leurs compagnons ou sur le monde. Montrez-leur qu’ils ne vivent pas dans un univers en carton-pâte et que ce n’est pas parce qu’ils sont des héros que personne ne souffre de leurs actes.

 

Divisez-les !

 

Dans l’esprit de nombreux joueurs, il n’existe qu’une seule chose sur laquelle ils peuvent compter de façon certaine : leurs camarades. Ils doivent certes endurer quelques railleries ou tentatives laborieuses d’incarner des animosités raciales, mais savent que si quoi que ce soit de sérieux arrive, ils seront là pour se serrer les coudes. Un autre moyen particulièrement efficace d’instaurer un climat oppressant est justement de les obliger à se méfier les uns des autres.

– Donnez-leur une vraie raison d’être ensemble : cela peut sembler paradoxal, mais c’est pourtant le prérequis pour tout le reste. Si les personnages ne sont pas contraints de rester ensemble, l’idée même d’avoir quelqu’un qui suit le groupe à contrecœur, et donc la suspicion, s’évanouit.

– Séparez-les : pas besoin de longs apartés pour faire naître la suspicion. Quelques signes, regards ou papiers échangés avec une fausse discrétion, et les joueurs se méfieront naturellement. Il suffit qu’un des joueurs ait la possibilité matérielle de communiquer avec vous à l’insu des autres pour faire naître le doute.

– Pariez sur le mauvais cheval : il y a toujours un joueur plus propice à une morale élastique ou aux petites gaffes qui mettront les autres dans l’embarras. Mettez-le en situation de faire des erreurs, faites qu’il s’en tire sans encombre et arrangez-vous pour que les autres puissent se poser des questions sur ses intentions. La confiance devrait rapidement s’éroder.

– Accentuez les déséquilibres : si vous voulez que deux COPS se déchirent, faites oublier ce qu’ils ont en commun pour attirer leur attention sur ce qui les sépare. L’un peut jouer un playboy de Venice, l’autre un père de famille de South Central. Pour cela, rien ne vaut les cadeaux de votre part (information, pouvoir, statut, équipement), surtout si ceux qui les reçoivent les méritent moins que leurs compagnons…

– Donnez-leur des objectifs contradictoires et faites les choisir entre leurs compagnons et eux-mêmes : le point le plus évident, mais pas toujours le plus facile à utiliser avec subtilité. Faites en sorte qu’ils aient à la fois besoin les uns des autres, mais que leurs objectifs restent antagonistes. Le mari et l’amant, surtout si l’un est un gangster et l’autre un flic, peuvent s’unir pour retrouver la femme qui les lie, mais il est fort probable qu’aucun ne souhaite que l’autre arrive à ses fins.

 

Tenez-les en haleine !

 

Enfin, le dernier outil pour maintenir la pression, le suspense, bénéficiera bientôt d’un MJ Only à lui tout seul. Il repose sur le sentiment que le danger peut surgir à n’importe quel moment et que les phases de récupération n’en sont pas, ou peuvent ne pas en être. Comme dans le cas de la méfiance, l’essentiel est avant tout d’instaurer le doute. Les joueurs se chargeront tous seuls d’imaginer le pire.

 

Note : Vu que Casus V3 a finalement du fermer boutique, le MJ Only sur le suspense n’a jamais vu le jour. Toutefois, voici deux billets sur le sujet si celui-ci vous intéresse : ici et .

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