Léviathan

Léviathan est une trilogie de thrillers initiatiques parus entre 2011 et 2013 où on suit les aventures d’un biologiste marin face à des machinations qui le dépassent. Très sincèrement, à part à vous renvoyer sur ces quelques pages, j’aurais bien du mal à vous en parler davantage. Je n’ai pas encore eu l’occasion de les lire.

L’année dernière, j’ai eu la chance de rencontrer son auteur, Lionel Davoust, lors d’un colloque à Bordeaux et de rapidement sympathiser avec lui. Je connaissais déjà son site pour y avoir lu quelques documents particulièrement intéressants sur l’écriture, et savais qu’il organisait des masterclass sur le sujet, mais j’ai eu en plus l’occasion de l’entendre parler de son processus créatif sur un autre de ses univers, Evanégyre, et d’échanger quelques souvenirs de parties façon anciens combattants. Aussi, je lui ai demandé de participer aux 5trucs, persuadé que cela pouvait être intéressant d’avoir le point de vue d’un romancier issu des genres de l’imaginaire, rôliste qui plus est ?

Pour lire la biographie de Lionel : http://goo.gl/mQitRN
Pour lire la description de Léviathanhttp://goo.gl/wPGtF5
Pour aller sur le site de Lionel : http://lioneldavoust.com/

 

1. Un livre, c’est long (une trilogie et un univers, encore plus)

 

Lire, cela prend du temps. Écrire, encore plus. Ça paraît idiot, mais c’est une vérité dont quantité d’auteurs en herbe ne prennent pas conscience.

L’écrit a ceci de particulier que c’est probablement le média le plus direct et le plus indirect à la fois. Direct parce que les mots s’adressent tout droit à votre inconscient, et ne passent par le filtre critique qu’une fois déchiffrés – mais il est déjà trop tard : what has been seen cannot be unseen, ce qui a été lu ne peut pas être… heu, « délu ». Vous avez déjà été choqué / contaminé / intrigué. Les images qui se sont formées dans votre tête, les voix que vous entendez n’appartiennent qu’à vous et, pour cette raison, vous toucheront toujours davantage que n’importe quelle représentation, aussi impressionnante soit-elle.

Un média indirect parce que ces images viennent au prix d’un effort. Il est impossible de recevoir un écrit dans une semi-immédiateté, comme la musique ou l’image. Dans notre société de l’instantané, c’est une dimension qu’on sous-estime très rapidement. Or, sachez-le : créer un univers, écrire un livre ne vous apportera pas une immense satisfaction instantanée. Vous ne pourrez même pas vous faire une idée convenable du résultat avant d’avoir fini. Ce qui prend des mois, des années, de persévérance, d’écriture et de réflexion quotidiennes.

Quand j’ai attaqué la trilogie Léviathan, je couvais cet univers depuis quinze ans, j’avais tenté déjà deux fois de l’écrire, j’avais jeté des dizaines de pages, j’avais des kilos de notes. Préparer le plan final m’a pris six à huit mois. L’écriture et la correction de ces trois épais bouquins a duré ensuite un peu moins de deux ans à temps plein, tous les jours.

Mûrir, construire, écrire, corriger prend du temps. Beaucoup, beaucoup de temps. C’est un travail de fond et de longue haleine. Impatients s’abstenir.

 

2. N’allez pas jusqu’à 11 (enfin, pas tout le temps)

 

Ne faites pas comme Nigel Tuftel, l’immortel guitariste de Spinal Tap : ne poussez pas l’ampli à 11 pour jouer fort en permanence.

Quelqu’un qui joue fort en permanence n’a plus d’espace pour respirer. C’est comme un peintre qui se contente d’aplats monochromes : il s’interdit tout contraste.

Le rythme d’une narration, la maîtrise du style, c’est la même chose. Donner tout, tout le temps, au lecteur ou au joueur, conduire pied au plancher, ne ménage aucune nuance. Pour que l’on sente la tension s’installer, pour que le suspense monte, il faut un départ au calme, afin de cheminer vers l’apogée. Il ne faut donc pas redouter de redescendre de temps en temps ; d’offrir des respirations, de lever le pied sur la poésie, les descriptions, l’angoisse. Si les questions narratives restent suffisamment intéressantes et en suspens, si les enjeux restent forts, alors le lecteur ou joueur voudra poursuivre, le temps de cette brève pause, dont il sait qu’elle l’amènera vers de nouveaux sommets.

C’est une leçon que j’ai apprise tout particulièrement dans La Chute, le premier tome de Léviathan : quantité de concepts étrangers à un thriller conventionnel comme des mondes parallèles, des mages influençant les lois de la nature s’y trouvent introduits, et, pour marquer le contraste avec la réalité consensuelle, j’ai eu tendance à forcer le trait sur le caractère surnaturel de ces passages. Résultat, il me devenait très difficile d’y établir des nuances, d’y varier l’action. J’ai rééquilibré discrètement dans les volumes suivants, La Nuit et Le Pouvoir, en levant un peu le pied sur la stupeur causée par le surnaturel, et les scènes de magie, les combats, en sont paradoxalement devenues bien plus intenses, parce que j’avais la place d’établir du contraste.

 

3. Sans enjeu, pas de jeu

 

En lien avec ce qui précède, notamment pour soutenir l’intérêt au long cours d’un récit ou d’un jeu, une question qui me semble toujours pertinente dans la construction d’un univers est : « pour quelle raison un lecteur ou joueur devrait-il passer du temps avec mon machin, au lieu de faire n’importe quoi d’autre de son précieux temps ? »

Astuce : la réponse n’est pas « parce que je suis trop génial ».

Une seule chose motive un lecteur ou un joueur à poursuivre : qu’on lui pose des questions auxquelles il veut les réponses. En d’autres termes, parce qu’il arrive à des personnages dont il se soucie (notamment le sien pour un JdR) des aventures qui ont une portée. C’est-à-dire : parce qu’il y a un enjeu. Des conséquences en cas d’échec. Et il ne s’agit pas forcément de la mort ; il existe d’ailleurs des tas de conséquences bien plus fâcheuses narrativement pour un personnage que mourir. Finalement, un personnage mort est ennuyeux ; on ne peut plus rien lui faire subir.

Chaque fois que je butais sur une scène de Léviathan, que je la sentais patiner ou patauger, je revenais à cette simple question : « Pourquoi raconté-je cette scène ? Où se trouve son intérêt ? » Soit : quelle question pose-t-elle, quel est l’enjeu ? Une scène sans enjeu (si mineur soit-il – réussir un devoir de maths a autant d’importance pour une petite fille studieuse que sauver la galaxie pour le capitaine Flam) n’a pas grand intérêt. Si je n’en trouvais pas, la scène dégageait sans autre forme de procès.

Cette question m’a guidé au quotidien à travers Léviathan pour équilibrer les deux, puis trois intrigues touffues qui s’y entrecroisent sur les trois volumes. Sans cette précieuse boussole, je pense que je me serais égaré quelque part vers la page 8 du tome 1 : si ce que j’écrivais m’intéressait, je pouvais espérer que le lecteur s’en préoccupe aussi. Parce que si je m’ennuie, il est certain que le lecteur également.

 

4. Sachez dire non

 

Une leçon difficile quand on est un jeune auteur qui n’ose pas s’imposer : sachez dire non.

Si votre projet est retenu, vous aurez la chance immense de bénéficier d’un ou plusieurs regards extérieurs, ceux de votre équipe éditoriale. Il s’agit de spécialistes de votre domaine, aguerris à la narration de votre genre, en lien avec le public, et ils savent repérer du premier coup d’œil les faiblesses et les forces de ce qu’on leur apporte. Ils vous guideront pour porter votre idée à un sommet que vous ne pourriez atteindre en solitaire.

Sauf que parfois, ils se trompent.

Non pas sur la réception du public ou sur la cohérence de leur vision. Ils se trompent sur ce que vous voulez faire, sur votre élan originel. Peut-être avez-vous échoué à le montrer clairement ; peut-être êtes-vous totalement passé à côté de votre idée. Mais vient un moment où l’équipe risque de vous proposer une modification fondamentalement contraire à votre vision, à la raison pour laquelle vous vous êtes lancé-e dans cette histoire de dingue. On a beau vous convaincre de son bien-fondé, dans vos tripes, dans votre cœur, cela ne colle pas. Que faire ?

Efforcez-vous de comprendre ce qui coince pour vos relecteurs et proposez d’autres solutions, en accord avec votre vision, qui règle le problème. Trouvez un moyen terme qui satisfasse tout le monde.

Et si l’échec persiste ? Alors, il faut alors vous regarder vous-même dans les yeux (attention, n’essayez pas sans miroir) et vous poser la question suivante : « Puis-je accepter cette modification, ou bien ne reconnaîtrai-je pas mon travail le cas échéant ? Si l’on n’arrive pas à se mettre d’accord, suis-je prêt à tout abandonner plutôt que de voir mon projet altéré ainsi ? »

Si la réponse est oui, tenez bon. On vous laissera peut-être faire quand même. Mais si c’est impossible, sachez vous retirer gracieusement (et le plus tôt possible). Mieux vaut un projet qui ne sort pas qu’un projet qu’on désavoue.

 

5. Mais sachez dire oui

 

Une leçon difficile quand on est un jeune auteur persuadé d’avoir tout compris : sachez dire oui.

Un jeune auteur, c’est un peu comme un lycéen punk : il s’est laissé pousser les cheveux, s’est collé des anneaux aimantés dans le nez mais vu qu’il est encore imberbe, on a un peu de mal à le trouver crédible quand il formule des avis à l’emporte-pièce sur la politique extérieure danoise.

Si ce cinquième point, « oui », suit le quatrième, « non », c’est d’une part par logique mathématique (beh ouais), mais aussi parce qu’en dehors des points qui touchent l’intégrité même de votre travail mentionnés précédemment, acceptez que vous n’avez pas encore de barbe, et qu’il vous faut passer une licence d’économie (voire de danois en parallèle) avant de la ramener. L’équipe éditoriale n’a pas raison tout le temps mais très souvent. Ne poussez pas des cris d’orfraie dès qu’on veut bouger une virgule. Soyez humble. Écoutez ce qu’on a à vous dire, fermez-la, essayez de comprendre, appropriez-vous les remarques et améliorez votre projet. C’est ce qu’on appelle avoir une attitude professionnelle. Le cimetière des jeunes auteurs à la carrière morte dans l’œuf est peuplé à 80 % d’emmerdeurs patentés.

À partir de La Nuit, le deuxième Léviathan, j’adjoignais à l’un des protagonistes principaux, agent du FBI, une amie très proche avec qui régnait une certaine ambiguïté sexuelle. À la base, elle n’était censée servir qu’à donner la réplique à mon personnage principal ; à lui donner un miroir avec qui discuter. On appelle ça un artifice narratif (voire un faire-valoir), et c’était gros et maladroit ; une de mes éditrices a exigé que je donne un peu plus de substance à cette intrigue tertiaire. Je l’ai fait en ruminant un peu sur le moment, je l’admets, parce que je redoutais que cela dilue l’intrigue principale, mais cela m’a finalement conduit à des scènes splendides dans Le Pouvoir, le dernier tome, où j’ai résolu cette histoire-là d’une façon bien plus forte et satisfaisante que je ne l’avais prévu, avec un personnage réellement intéressant. La trilogie y a gagné.

Si ça vous paraît du boulot de retravailler, si vous renâclez parce qu’en réalité, ça vous fait peur, si vous frémissez devant la charge à accomplir, j’ai une bonne nouvelle : c’est le métier qui rentre. Cet exercice est probablement le plus formateur qui soit. Pas le plus amusant, j’en conviens. Mais c’est une part indispensable de l’écriture et, en outre, il ne s’apprend qu’une fois. Et quand vous le dominerez, vous lirez dans la matrice de la littérature comme peu en sont capables. À quoi ça sert ? Eh, à arrêter les balles, pardi. Fictives, mais c’est déjà ça.

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