Quelques techniques pour utiliser et créer des moments de faible intensité en jeu
L’année dernière, nous avions publié ici un billet de Sylphelle de Dragons & Grenadine qui faisait la synthèse d’un atelier ayant eu lieu lors de la Cyberconv et auquel nous avions participé, qui faisait la part belle aux techniques destinées à faire émerger certaines émotions en séance. Lors de la Cyberconv suivante, elle en a organisé un autre sur ce qui est souvent un angle mort des conseils rôlistes, à savoir les phases de jeu dites de faible intensité. Elle nous y a conviés, ainsi que Sandy Bailly qui avait fait une présentation à BEta Larp 2021 qui traitait du même sujet dans le cadre des jeux grandeur nature. Tout comme la première fois, voici donc une rapide synthèse de cet atelier avec une liste de techniques et d’astuces pour rendre tout leur intérêt à toutes ces petites phases de jeu que nous avons l’habitude de délaisser.
Nous avons tenté de définir les moments de faible intensité en jeu de rôle ainsi : ce sont tous ces petits moments où l’on ne ressent pas d’émotions particulièrement fortes, et où il ne se passe rien de scandaleux ou d’épique. Ils représentent une part non négligeable de nos parties sur table ou en grandeur nature, et on peut simplement choisir d’en profiter pour se reposer ou discuter sans but précis, ce qui est totalement légitime. On peut également choisir de les utiliser pour créer des éléments qui vont enrichir le jeu, ou encore des connaissances volontairement poussées sur son personnage ou les autres qui serviront par la suite.
Pour créer des cadres propices à ces moments de faible intensité, on identifie dans un premier temps 3 éléments comme probablement nécessaires :
1°) des espaces qui permettent à ces scènes d’exister : on peut par exemple jouer la pause que font les PJ sur la route, ou d’autres moments qui font habituellement l’objet d’une ellipse en JdR (funérailles, mariages ou autres cérémonies, et choisir d’y consacrer davantage de temps, parfois une séance entière). En GN, il faut prévoir des espaces plus restreints et intimes ;
2°) des raisons de créer ce contenu (besoins en jeu, envies de scènes, etc.) ;
3°) des éléments à échanger (des informations à donner ou à recevoir par exemple).
Formes et inspirations des moments de faible intensité
Pour créer et jouer des moments de faibles intensité générateurs d’informations intéressantes, nous avons évoqué diverses possibilités :
+ se demander ce que son personnage ferait un dimanche matin comme les autres, afin de mieux se mettre dans sa peau et de fournir des renseignements intéressants à qui prêtera attention à son attitude, ses rituels, qu’ils soient verbalisés ou pas. Ici, l’idée est de simplement « être » son personnage sans accomplir de grandes choses ou agir dans le sens d’une quête ou assimilé, afin de faire passer des informations réutilisables par les autres joueuses ;
+ exploiter une atmosphère qui s’y prête pour dire quelque chose de son personnage : inventer une anecdote attendrissante, faire de l’humour comme il le ferait, se rappeler un souvenir impliquant ou non d’autres personnages, etc. ;
+ jouer un monologue intérieur à voix haute pour divulguer des pensées secrètes et des motivations cachées, ou simplement parler de soi (soi étant son personnage) ;
+ jouer des flashbacks, des flashforwards, des rêves, etc. ;
+ observer de petits détails chez les autres personnages : leurs habits, leurs bijoux, etc., puis leur poser des questions et échanger des anecdotes. De même, quand vous créez votre personnage, n’hésitez pas à lui adjoindre de petits détails qui interrogeront les autres joueuses : la casquette rapiécée toujours en place sur la tête, la broche en forme de scarabée qui orne la veste… Trouvez une vraie signification à ces détails ;
+ utiliser les situations en jeu pour faire un parallèle avec un élément du background de votre personnage, en surjouant l’émotion associée : « ce qui vient de se passer me rappelle tristement ce qui m’est arrivé il y a quelques années… »
+ utiliser le hors jeu pour demander discrètement « qu’aimerais-tu savoir sur mon personnage ? » et créer une scène qui donne la réponse. Cette méthode est utilisée dans des jeux de rôle de la mouvance Belonging Outside Belonging, dont Dream Askew d’Avery Alder est le titre fondateur ;
+ demander un conseil à un autre personnage sur une difficulté personnelle, un doute, ou la meilleure façon de réussir quelque chose qui n’est pas forcément indispensable mais renforce les relations au sein du groupe (acheter un cadeau d’anniversaire, célébrer un moment important, demander comment se faire pardonner, voire comment pardonner, etc.);
+ créer et utiliser des espaces sans parole pour exprimer les émotions de son personnage, que ce soit par l’écriture, la danse, etc. En GN, cela peut être des espaces instanciés et définis comme tels, ou des scènes jouables en black box, sans parole. En JdR, cela peut prendre la forme d’une scène ou l’on décrit les actions et les gestes du personnage (technique du show don’t tell). Certains, comme Alice is Missing, se jouent d’ailleurs sans parole orale, uniquement par l’intermédiaire d’une messagerie instantanée ;
+ créer des éléments interstitiels pendant ces moments de faible intensité, comme des lettres ou des dessins, qui permettent de développer et d’ajouter des détails ou d’amorcer un nouvel angle de jeu ;
+ mettre en jeu ou interagir avec un PNJ générateur d’émotions, comme un personnage candide rappelant un enfant, par exemple. Celui peut éventuellement faire écho à des événements de la trame principale, des conflits bien plus intenses ou proposer de nouvelles façons d’aborder un thème déjà traité par ailleurs ;
+ mettre en jeu des dates importantes comme des anniversaires, afin de créer des interactions de faible intensité qui permettent de se situer entre personnages, mais également d’y faire référence plus tard pour les scènes plus intenses (qui vient souhaiter l’anniversaire et qui ne vient pas ? Qui se cache dans la foule ?) ;
Créer ces scènes ensemble pour en apprendre plus sur les personnages
Les scènes de faible intensité peuvent être jouées à plus de deux personnages. En effet, il est également possible d’entreprendre des actions pour les générer en groupe, en jeu ou hors-jeu, par exemple :
+ construire un souvenir ou une anecdote à plusieurs en utilisant la technique du « oui et » : une joueuse raconte une anecdote et une autre renchérit : « oui ça c’est passé comme ça, et en plus, figurez-vous que… » pour étoffer et ajouter des éléments intéressants pour comprendre la psychologie des personnages ;
+ cuisiner, en expliquant comment on fait là d’où on vient ou où on a appris à faire tel plat ;
+ créer une œuvre d’art ou une cabane à plusieurs (Le Lierre et La vigne de Lille Clairence et L’Île des gauchers de Sylphelle sont des GN qui utilisent cette technique) ;
+ jouer de la musique, si ce n’est réellement, en expliquant comment on joue, de quelle manière, si les mélodies sont tristes ou joyeuses, si on vient soutenir celle d’un autre instrumentiste, etc. ;
+ marcher ensemble : cette technique est utilisée dans des GN itinérants pour rapprocher et souder, ou dans des JdR comme Ryuutama d’Atsuhiro Okada, où le voyage est central dans le jeu ;
+ créer un aparté entre plusieurs personnages ;
+ jouer à des jeux de carte ou de taverne, les laisser traîner pour que les joueuses s’en emparent ;
+ raconter des histoires et légendes autour du feu (Summer Camp, le JdR de Melville, utilise largement cette technique).
N’oubliez pas que juste profiter de ces moments tranquilles de faible intensité sans chercher à les utiliser pour créer du jeu c’est aussi complètement valable et salutaire, surtout dans les jeux longs, pour simplement vous reposer !
JDR et Rôliste
26/08/2022 at 21 h 40 minJ’utilise souvent ce genre de moment pour amener des éléments de contexte sur l’univers ou les personnages. C’est ce qui rend consistant la narration et l’histoire.
L’article est très intéressant, ainsi que les astuces citées 🙂 j’ai quand même un préférence pour celles en jeu directement, mais je comprends que le hors jeu peu amener ce genre de moment également 🙂