Project : Pelican
Project: Pelican est un JdR publié début 2009 chez l’éditeur associatif Cendres De Sphynx. L’action se situe dans les années 1970, les joueurs y incarnent des Amérindiens subissant des changements qu’ils ne peuvent expliquer. Ce jeu, le premier de l’éditeur, a notamment ouvert la voie à Achéron, pour lequel Nicolas Henry avait déjà fait un « 5 trucs » et Islendigar. À la fois éditeur, illustrateur et un des deux auteurs du jeu, Fabien Fernandez a également eu l’occasion de se distinguer sur son jeu paru chez les XII singes, Necropolice, et en écrivant plusieurs scénarios dans la gamme D6 system. Il vient partager ses propres expériences, et ce qu’il a pu apprendre en travaillant sur Project: Pelican.
Pour plus de détails sur Project: Pelican : http://www.legrog.org/jeux/project-pelican
Pour lire la bibliographie de Fabien : http://www.legrog.org/biographies/fabien-fernandez
Pour le site de Fabien : http://www.fablyrr.com/
1-Toute première fois
On croit toujours être prêt. On s’est déjà essayé tout seul avec ses petites mains… Mais là, ça ne rigole plus, il faut se jeter à l’eau !
Oui, comme beaucoup, j’ai relu des systèmes de jeu « qui ne me plaisaient pas », j’ai inventé des mécaniques pour jouer, j’ai repris des règles pour y coller mes univers de dessins animés préférés ; j’ai vénéré les grands de ce milieu qui avaient leur nom marqué dans LE livre de règles. J’ai aussi pas mal bavé sur les illustrations d’un grand nombre de jeux de rôles. Pendant longtemps, je me suis dit qu’il y avait moi, regardant la belle image de l’écran de jeu, et les Créateurs de JdR, cachés derrière le paravent. Ce sont eux, les Maîtres du Donjon… Et puis à force de me poser des questions, d’essayer, de tâtonner, je me suis rendu compte que l’écran de jeu était au mieux cartonné, que je m’y glissais derrière depuis plus de vingt ans. J’ai alors écrit mon premier JdR pro !
Bon, c’est facile à dire comme ça. C’est même très facile de se lancer sur un projet avec une idée qui se veut géniale (au moins pour soi), mais une fois qu’on se trouve sur le chemin, on se rend compte que l’autoroute à douze voies, c’est dangereux. On peut aisément sortir de la route si on n’y prend pas garde et il faut compter nombre d’embûches à éviter si on veut en apercevoir le bout. Donc, oui, écrire un jeu, c’est compliqué. Mais une fois commencé, je me suis dis que ça serait dommage de rester sur la bande d’arrêt d’urgence.
La grande difficulté est de le terminer. Et ce n’est que la première, car ensuite il faut relire, élaguer, tester, corriger, réécrire, recevoir les critiques et au final, puisque nous parlons là de Project: Pelican, accepter les retours. La première fois fut terriblement compliquée. Je ne pense pas avoir d’ego démesuré, mais j’ai mangé mon chapeau nombriliste un grand nombre de fois, car comme vous le savez, le rôliste n’est pas tendre dans sa critique, et encore moins avec le sujet de sa passion. Comme j’ai fait ça presque seul dans mon coin, je communiquais principalement par email et sur les forums. Ce sont des endroits magnifiques… pour un coin de l’enfer où les gens cachés derrière leur écran se lâchent allègrement. Il faut savoir prendre du recul sur les retours, car la plupart du temps, les critiques qu’on vous envoie ne sont pas dotées d’un « ça serait mieux pour le jeu » ou « moi, j’aurais peut-être fait comme ça ». Non, elles sont plus souvent jetées avec un « c’est pas bon là, tu devrais faire ça ». Donc, savoir écouter et décortiquer les retours sont des armes redoutables pour écrire du JdR.
Je dois souligner tout de même que cette aventure n’aurait pas eu lieu sans mon entourage (clé indispensable à tout long projet). Je parle de ma femme et mes amis là, mes grands-parents et mes arrières grandes-tantes et oncles s’en moquaient, étrangement.
Lorsqu’on me demande des conseils sur l’écriture de JdR, je réponds la même chose que pour toute autre création : il faut du courage et tenir jusqu’au bout. Quoi qu’il arrive. Pour moi, ne pas terminer un projet est encore plus frustrant que de le rater. Même lorsqu’on se vautre lamentablement, on gagne des XP. Donc une première fois c’est très important, on apprend énormément, et on rencontre des gens qui ont aussi beaucoup d’expérience et sont prêts à la partager avec sympathie (et oui, même chez les rôlistes il y a des gentils). J’en profite au passage pour saluer le forum Terres Étranges, notamment Johan et Polo qui m’ont aidé sur ce jeu. Et puis, grande consécration pour Project: Pelican, il est nommé dans la prestigieuse liste du Grog d’or de son année de parution. Dans la foulée, un éditeur est venu me voir lors d’une convention parisienne pour me dire que c’est dommage que le jeu ait été publié chez CDS, car il l’aurait bien sorti chez lui… Comme quoi, il suffit d’un peu de reconnaissance de ses pairs, un soupçon d’humilité et pas mal de courage pour se lancer comme créateur de JdR…
2-Les Peaux-Rouges
Passons dans le vif du sujet. Project: Pelican est un jeu traitant des Amérindiens. Pas des Indiens, pas des Peaux-Rouges ou toute autre insulte pour ces ethnies, non, juste Amérindiens (voire Natifs).
C’est important car c’est le cœur du jeu, et ce sont ces cultures qui m’ont poussé à le faire. Je pourrais digresser et dire que si au passage, vous pouviez aussi supprimer « eskimo » de votre vocabulaire pour le remplacer par Inuit, ça serait mieux, ça évite d’insulter les gens. Mais bref, redescendons géographiquement sur le continent américain. J’aimerais dire que pour mon premier jeu, je cherchais une thématique forte. Mais en fait, c’est elle qui m’a trouvé. Je suis tombé par hasard sur un article de magazine traitant de la prise d’Alcatraz en 69 par les Natifs américains. Ils ont tenu onze mois, ont été rejoints par différentes tribus, soutenus par l’opinion publique et des stars du cinéma. Sur l’île, tout se passait relativement bien pour la communauté. Vous vous doutez que la Maison Blanche n’a pas apprécié de se faire narguer par des Amérindiens réquisitionnant une île de cette grande nation n’ayant rien à se reprocher. Au bout de plusieurs mois, le phare d’Alcatraz a mystérieusement pris feu. Quelque temps après, un supertanker s’échouait dans la baie de San Francisco. Les Natifs perdirent leurs différents soutiens, mais moi, fin 2007, j’avais le point de départ de mon jeu.
Pour Project: Pelican j’ai plongé la tête la première, sans bouée et sans tuba, dans 15 000 tonnes de documentations. J’ai lu et vu des documentaires ; visionné des films, lu des romans, été voir des expositions, etc. Ce fut une étape très longue, qui tenait presque de la boulimie. Mais le plus dur était à venir : le tri. Car une fois qu’on a ingurgité tout ça, il faut savoir le vomir proprement. D’abord il faut trier, et rendre les éléments jouables. Comment choisir entre telle et telle culture ou tribu ? Puis, au fur et à mesure, on coupe, on élague et il reste de grandes lignes directrices. Je crois que le jeu a peut-être quelques longueurs sur le sujet. Je le referais aujourd’hui, je supprimerais encore des choses. Ce qui est frustrant, à ce moment de la création du jeu, on veut tout partager. Mais passer la richesse d’une tribu en 200 pages est déjà compliqué, vous imaginez plusieurs, avec en plus un univers, un système de jeu et des scénarios ? Donc, savoir trier les infos est important, voire vital pour le jeu lui-même. Parce que ce n’est pas le tout d’écrire un univers et le rendre jouable, mais si les éléments sont noyés sous trois tonnes d’autres détails, ça ne sert à rien.
Donc trier et choisir, non pas selon ses propres critères, mais pour ceux du jeu. Celui qui passera dans d’autres mains et ne nous appartiendra plus.
3 – Un super système de jeu !
Si vous regardez les trois quarts des systèmes de jeu, ils sont décrits comme « simples et dynamiques ». Ça en devient presque un pléonasme. Oui, moi aussi j’écris ce genre de trucs. En même temps, si on devait les décrire comme « chiant à lire et imbitables »…
Donc, j’ai fait MON système de jeu pour Project: Pelican et il se nomme même Systotem. Oui, bon d’accord, il y a mieux, mais ça m’a paru parlant comme nom. Je fais partie des joueurs et créateurs qui ont besoin d’un système dédié à un univers. Pour moi, le générique n’est pas très porteur pour ressentir la substantifique moelle d’un jeu. Oui D20 c’est bien, comme le D6 et tous leurs grands ou petits frères. J’écris même des jeux pour un système générique, même s’il s’agit là surtout de problématiques éditoriales : on entre dans une collection, on se plie aux règles. C’est d’ailleurs intéressant de s’y plier, les contraintes de création sont différentes, on s’amuse autrement. Mais pour revenir à notre sujet, je voulais un système « simple et dynamique ». Je l’ai donc conçu, testé, crash-testé, utilisé et tout roulait très bien. Ce qui amène à un autre problème de « j’écris mon premier jeu » : ça marchait super bien, mais avec mes joueurs. Oui, quand on écrit un système (ou un jeu), on ne sait si ça marche que quand on le confronte à des joueurs qui n’y sont pas habitués. C’est aussi simple que ça. Rassurez-vous, le système tourne bien, c’est simplement qu’à force d’ajouter des petites subtilités, j’ai peur qu’il soit difficile pour les autres meneurs de ne pas se perdre dans des détails. Rien de grave au final, c’est plus un problème lié à l’écriture qu’à la mécanique elle-même… un peu de réécriture et il tournera d’autant mieux si un jour j’en fais une nouvelle édition.
Donc, pour un bon système, c’est bien de le tester. C’est mieux de le tester avec des « inconnus ».
4- Deux en un, c’est plus malin.
Sur deux des thématiques principales de Project: Pelican, j’ai parlé de la première. La seconde est l’ancrage dans les années 70. Très importante et s’imbriquant complètement avec le thème des Amérindiens. Donc, si je résume Project: Pelican à quelqu’un, je lui dis que : « C’est un jeu d’horreur dans lequel tu joues des Amérindiens dans les années 70 ». Simple, court et efficace. Pour moi, c’est comme ça que l’on doit présenter un projet. Pour avoir été jury de concours de JdR, je peux vous dire que ce n’est pas si facile que ça à comprendre. Exemple : « j’ai écrit un jeu super original qui est du médiéval fantastique, mais c’est un univers sombre, les elfes n’ont pas les oreilles pointues, et il n’y a pas de nain car le monde est sombre et dévasté et… ». Vous avez envie de jouer à ça ? Pas moi en tout cas. Donc, il faut synthétiser.
Si on reprend l’exercice dès le début, on a donc : « Amérindiens » + « années 70 » + « jeu d’horreur ». Et avec ça vous ajoutez le titre du jeu. Si je veux entrer dans le détail, je dois préciser que ce jeu parle de complots, que c’est assez sanglant, qu’il y a de la drogue… Donc, pour synthétiser, j’ai préféré couper net, aller à l’essentiel. Il faut savoir gérer son jeu de poupées russes pour pouvoir le « vendre ». Je vous dis ça comme si je savais tout, mais je sors ma science après avoir essuyé les plâtres devant pas mal de personnes à vouloir dire tout ça : drogues, 70’s, horreur, Amérindiens, complots, guerre du Vietnam, rock and roll, X-Files, chamanisme…
La seconde et véritable utilité de cette synthèse est qu’une fois que l’on dégage le plus important, on sait dans quelle direction on écrit et comment le jeu avance avec ce qu’il y a de mieux pour lui.
5- Editor !
La dernière case du plateau, pour un jeu de rôle professionnel, est celle de l’éditeur. On arrive assez fier d’avoir tout fait (moi doublement, parce que j’ai aussi fait les illustrations de Project: Pelican), mais on avale vite son ego avec le retour de lecture de l’éditeur. On n’est jamais assez bon : c’est ça la case départ. L’éditeur est là pour distiller un bon alcool rôlistique et vous, vous arrivez avec une solution liquide pas assez propre. Bref, on retravaille, avec des phases de corrections aussi bien sur le fond que sur la forme. Tout ça pour vous dire que l’éditeur va vous aider à faire un bon jeu et qu’il faut l’accepter dans l’équipe de création, pour son regard et son expérience. Pour Project: Pelican, comme je suis membre de CDS éditions, j’ai laissé la main à l’autre partie de l’équipe, mis un pied hors des murs et accepté les corrections. Ça paraît facile comme ça, mais quand c’est votre première fois, votre premier « bébé », que vous y avez passé des mois voire des années, que quelqu’un y retouche, cela n’a rien de facile. Et pourtant, il faut accepter les choses, en tout cas y voir le meilleur pour le jeu. Éventuellement, on peut refuser des corrections de fond si ça ne semble pas pertinent pour le projet, mais comme je viens de le dire, si vous acceptez l’éditeur DANS l’équipe, tout le monde va dans le même sens.
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