Achéron
Achéron est un JdR publié en 2010 chez CDS Editions. Il prend pour cadre notre XIXe siècle, et met en avant le fantastique, le romantisme, les affrontements de la raison et des passions, ceux des sceptiques et des fervents défenseurs de disciplines plus ésotériques, etc.
Il s’agit du premier jeu publié de Nicolas Henry qui prépare également Wulin chez Pulp Fever ainsi que de nombreux autres projets, y compris dans des domaines n’ayant rien à voir avec le JdR (anthologie de nouvelles, traduction de BD, etc.) Il se prête au jeu des « 5 trucs » en nous faisant part de ce qu’il a pu apprendre en travaillant sur Achéron !
Plus de détails sur Achéron : http://www.legrog.org/jeux/Acheron/Acheron-fr
Pour lire la biographie de Nicolas : http://www.legrog.org/biographies/nicolas-henry
1 – Comprendre pourquoi on veut se lancer là-dedans
Vouloir créer un jeu de rôle passe au moins une fois par la tête de 95 % des joueurs pour qui le JdR est un hobby récurent. Série, livre, films et jeux vidéo sont autant de possibilités d’adaptation partielle ou totale en format JdR, et la plupart seront sans doute assez plaisants à jouer. Mais bon dieu, pourquoi vouloir passer le pas et en faire passer un à l’épreuve de l’édition ?
Quand j’ai rédigé Achéron, j’avais déjà en tête tout ce qui allait me pleuvoir dessus si jamais il sortait : « OK, mais y’a déjà des tas de trucs très bien sur le même sujet… » et en effet, on ne peut pas dire qu’un jeu sur le fantastique victorien, ce soit la palme de l’originalité. Si cette question m’a retenu un bon moment, malgré les encouragements des proches, elle m’a également contraint à réfléchir sur les raisons qui m’ont poussé à faire ce jeu : un exercice nécessaire qui m’a permis d’écrémer partiellement les points du jeu qui desservaient finalement plus l’atmosphère qu’ils n’y contribuaient. Qu’est-ce que j’avais bien voulu dire ? Où je voulais en venir ? Qu’est-ce que je recherche à une table de jeu lorsque je le fais jouer : de l’aventure ? Du frisson ? Une atmosphère ? De la stratégie ? Et de fait, qu’est-ce qui sert ou casse cet effet ?
Le second point fut de me faire également comprendre ce que je recherchais dans le jeu de rôle en lui-même sans arriver à mettre le doigt dessus : probablement le partage de passion sur un sujet, un thème précis. Ce n’est qu’en rédigeant ce bouquin que je me suis aperçu à quel point j’adorais la littérature romantique du XIXe et à quel point l’atmosphère qu’elle dégageait était riche en histoire.
Naturellement, je me suis remis à bouffer de la nouvelle fantastique, de la poésie romantique et du film d’épouvante pour cerner à la fois les ficelles et les petits points spécifiques qui donnent à ces genres une saveur inimitable.
Les petits encarts « historiques » et les « astuces d’ambiance » sont vraiment devenus pour moi des évidences, presque les fondements du jeu parce que plus on avance dans la rédaction, plus on s’aperçoit que plus que n’importe quel livre, un jeu de rôle est un dialogue avec le lecteur et que le but ultime est que celui-ci vibre autant que nous à l’évocation de ces petits détails qui font toute l’atmosphère d’un jeu.
Rapidement, on se rend compte que même si le sujet a été traité mille fois, aucun jeu n’est identique, tout simplement parce que ce qui a fait bouger son auteur et sa façon de le transmettre est propre à celui-ci.
Se rappeler qu’avant tout, écrire un jeu c’est partager et donner le plus d’éléments qui permettront au jeu de vivre loin de nous, c’est probablement la partie la plus fondamentale de tout processus de création ludique.
2 – Synthétiser ou s’associer à un éditeur qui vous aidera à le faire
J’ai toujours été incapable de synthétiser (ça se voit déjà sur cet article) et j’ai un besoin impératif qu’on fasse les coupes à ma place. Je crois que quand Fabien Fernandez m’a demandé le manuscrit d’Achéron, il devait y avoir plus de 300 pages dont près de la moitié alourdissait le jeu de détails ou points de règles superflues, que j’avais sans doute rajoutés par crainte que telle situation arrive et qu’il n’y ait pas de règles pour la gérer.
La première chose qu’il m’a aidé à faire a été de dégraisser les parties totalement superflues pour me forcer à recentrer le sujet. Ce qui peut paraître au début un « gain de place » très prosaïque pour un hypothétique éditeur qui voudrait « payer moins cher » est en réalité très souvent un exercice salutaire pour éviter de se retrouver avec un ouvrage large comme l’Ancien Testament, qui tombera des mains du premier joueur qui l’ouvre.
La plupart du temps, je m’étais aperçu que je gonflais par « réflexe » le texte avec des parties que je pensais nécessaires dans un jeu de rôle : les manœuvres de combat ou le listing exhaustif des armes, franchement, dans un jeu où l’on affronte des choses que vous passez votre temps à fuir pour ne pas mourir, ça ne sert à rien. La synthèse n’est pas une diminution de votre travail, c’est au contraire un affinage nécessaire qui vous force à cibler là où vous voulez en venir avec le moins de mots possible. C’est d’un certain côté votre travail, mais également celui de votre éditeur de voir dans quelle mesure vous pouvez enlever certaines parties, parfois pour gonfler une partie sous-exploitée de votre manuscrit, parfois tout simplement pour rendre votre ouvrage lisible et exploitable par tous.
3 – Ne pas jouer à l’auteur
Je suis toujours fasciné et parfois atterré par la fermeture d’esprit dont font preuve certains auteurs lorsqu’il s’agit de leur manuscrit, qu’il s’agisse de jeu ou d’ouvrages plus traditionnels.
On a l’habitude en France, de dépeindre l’éditeur comme une sorte de financier sans scrupules, genre producteur de blockbusters américains, qui va vider votre précieux de sa substance créatrice pour le changer en fast-food du JdR prêt-à-penser. Alors déjà, on redescend. Niveau blockbuster, le JdR, ça se pose là. Ensuite, on essaye de se souvenir que si ce fameux éditeur vous a appelé, c’est qu’il aime votre jeu.
Votre boulot d’auteur c’est le créatif. Le sien, c’est le pragmatique. Votre but commun, c’est de partager votre œuvre avec le plus de personnes possible. Ma plus grande trouille en publiant un jeu est d’écrire un laïus universitaire pédant dont la lecture fera tomber le jeu des mains de n’importe quel joueur a priori curieux. En premier lieu, il convient donc précisément de définir avec votre éditeur où vous voulez aller, quels sont les éléments phares de votre jeu et quels sont les points que vous voulez absolument voir figurer dans votre ouvrage. Une fois que vous êtes tombés d’accord là-dessus, il va sans doute vous proposer des arrangements, voire des ajouts supplémentaires, mais également des modifications possibles. En prenant le temps de faire plusieurs réunions (en fait, il s’agissait surtout d’aller picoler, mais avec une certaine légitimité de prestance) avec Fabien Fernandez et Charlotte Bousquet de CDS, j’ai pu réellement voir quel était l’aspect, qui fondamentalement, avait le plus de potentiel de jeu (la gestion du fantastique) et lesquels servaient plus d’habillage, lorsqu’il ne desservait pas complètement le jeu (comme la possibilité de jouer des créatures, qui paraissait super cool sur le papier, mais qui en réalité cassait toute l’ambiance du jeu). Ce point de vue, en tant que « créatif » vous ne pouvez pas l’avoir, parce que votre processus va être parasité par vos envies de tout mettre, vos craintes de reconnaissance (comme le « être original à tout prix » qui a fait, à mon sens énormément de mal à beaucoup de jeux au demeurant très bons) et tous ces éléments trop personnels pour que vous puissiez les transmettre correctement.
En se posant la question trop souvent oubliée de « l’âme de mon jeu, fondamentalement, c’est quoi ? » et en la passant à l’épreuve d’un regard extérieur, vous vous débarrasserez de la moitié de vos complexes d’écriture. Si en revanche, vous continuez à écrire pour des raisons d’ego et que vous vous refermez sur une vision quasi intégriste de votre jeu, vous n’aurez que très peu de chances d’être compris par les joueurs et aurez perdu l’essence même de ce qu’est, à mon avis, un jeu : c’est-à-dire, ces moments de grâce où tout le monde ou presque à la même chose en tête lorsqu’une partie est jouée.
4 – Ne pas sous-estimer la technique
Je n’ai jamais été convaincu par les systèmes génériques, parce qu’un système est plus qu’un outil mathématique de gestion, il est, comme tous les éléments de votre jeu, du texte aux illustrations, vecteur d’un esprit.
Un tic étrange me pousse, pour tous les jeux (amateurs ou non) que j’ai écrits, à commencer (après avoir trouvé un thème), par définir une feuille de personnage dans laquelle je fourre toutes les notions que j’aimerais voir apparaître dans le jeu, sans avoir défini de règles particulières qui iraient avec. J’avoue être une catastrophe en mathématique et ne jamais calculer si oui ou non, un système est équilibré ou non. À vrai dire, j’en m’en suis toujours fichu comme d’une guigne, dans le sens où la plupart du temps, l’optimisation d’un personnage est le cadet de mes soucis. En revanche, je sais qu’un système est crucial pour accompagner une optique de jeu. Un jeu d’ambiance comme Achéron doit favoriser l’interprétation des personnages et l’accroche au récit : multiplier des jets de dés aurait eu pour effet de casser le rythme du jeu, d’autant plus si le joueur doit regarder sa fiche plusieurs fois pour calculer ses bonus et ses malus. Pour autant, l’utilité d’un jet de dé ou du hasard pourra donner une émotion nécessaire en temps de stress. Oui, au calme, un médecin pourra parfaitement diagnostiquer les causes d’un décès sans faire de jet, mais rattraper une cheville cassée alors qu’une créature monstrueuse tente d’enfoncer une porte est une autre paire de manches. Le système devait donc être relativement simpliste pour qu’un résultat soit déterminé rapidement et continuer le récit tout de suite après le jet. De même, les dégâts sont fixes, car l’axe stratégie n’est que minime dans le jeu.
Paradoxalement, les niveaux de peur, de fatigue et de folie sont chiffrés et même nivelés, alors qu’on serait en mesure d’attendre quelque chose de plus « simple » dans un jeu où les règles sont si frêles. En réalité, le fait de voir sa santé et son équilibre mental s’effondrer progressivement tend à rendre les joueurs plus prudents : plus un personnage est stressé, épuisé et blessé, moins il sera capable de réagir convenablement. Ces successions de malus vont contraindre les joueurs à faire ce que n’importe qui ferait en situation de danger : tenter de survivre à tout prix et ne pas prendre des risques « irréalistes ». De plus, dans l’idée de préserver le « mystère » de l’explication d’enquête, la plupart des personnages préféreront ne « pas trop en savoir » plutôt que de courir le risque de voir leur personnage mourir. Ces conclusions, typiques des récits fantastiques du XIXe, où l’on ne sait « jamais vraiment » sont aidées par la présence de ce système particulier, adapté pour générer cette pression permanente sur les joueurs et leurs personnages.
Si j’avais voulu faire un jeu de « chasseurs de monstres », je m’y serais sans doute pris différemment, en augmentant par exemple la résistance des personnages et en donnant plus d’importance à tout ce qui relève de leurs domaines de compétence.
On pourra également reprocher l’ajout superflu des « Dons » de vos personnages dans Achéron. En réalité, plus que des bonus de compétences, la liste de ces dons permet également de donner le ton du jeu : de mon avis, un lecteur cerne beaucoup mieux le jeu avec des archétypes ou exemples de compétences, qui lui donneront des idées supplémentaires d’orientation, plutôt que rien du tout. Le principe du « partez de rien et créez tout ce que vous voulez » fonctionne, mais ce processus doit nécessairement être guidé par des exemples forts et malgré tout, relativement cadrés. On reprochera un certain dirigisme à cette remarque, mais le cadre est souvent une aide sur laquelle s’appuyer qu’une contrainte, en sachant que tout le monde ou presque s’affranchit facilement des cadres des règles d’un jeu.
5 – Partir au feu (forums, conventions, etc.)
La seule épreuve que devrait avoir à subir votre jeu avant toute publication est un baptême du feu hors des sentiers battus (amis, club…). La première chose qui m’a terriblement aidé dans la finalisation de mes jeux fut leur passage en convention : c’est là que vous voyez si vous avez écrit un truc compréhensible ou pas, et les joueurs que vous allez rencontrer vont forcément poser une question à laquelle vous n’avez jamais pensé. En expliquant oralement mon jeu ou en rédigeant les cinq foutues lignes que chaque organisateur de convention demande, j’ai probablement appris à aller à l’essentiel et encore une fois, à dégraisser les idées. Les retours de joueurs furent fondamentaux : ils vous citeront leur référence, ce à quoi le jeu leur a fait penser en termes d’œuvres (romans, films, bd…), relaieront les points forts du jeu (et ses faiblesses/incohérences) et proposeront parfois les bonnes idées qui s’ajouteront au fur et à mesure dans vos règles. Après tout, ce sont eux qui feront vivre votre univers après avoir mis la main sur votre bouquin, ils sont probablement les mieux placés pour savoir ce qui leur plaît et ce qui les gêne. Vous n’êtes évidemment pas obligés de faire acte de chaque remarque, mais les briefings de fin de conv’ sont des grands moments d’émulation collective dont il serait dommage de se priver.
Un moyen plus économique qui m’a également été très bénéfique sont les « forums de jeu » ou « mode pbf (play by forum) » qui permettent en trois clics de créer un forum gratuit pour proposer des parties en ligne. Ici, exit le système de jeu, mais bonjour les idées nouvelles : moins coincés par les règles et happés par l’univers, beaucoup de joueurs vont apporter leur lot de questions (dont les réponses vous paraîtront si évidentes que vous n’aviez rien mis dessus dans votre ouvrage) et de type de personnages uniques. J’ai pris confiance en Achéron lorsqu’une de mes amies, un jour d’ennui, m’a proposé de le mettre en ligne pour pouvoir jouer avec d’autres personnes. La petite communauté qui s’est formée autour de ce forum m’a énormément apporté en termes de confiance dans le potentiel du jeu, mais également en idées diverses, qui m’ont en quelque sorte forcé à finaliser ce que j’avais à peine ébauché.
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