De Château Falkenstein et de ses carnets (2/2)
Dans notre précédent billet, nous avons commencé à évoquer une des spécificités de Château Falkenstein : les carnets de personnages. Naturellement, personne n’a attendu ce jeu pour prendre des notes ou pour dédier un cahier, une chemise cartonnée ou autre à un personnage ou une campagne spécifique. Toutefois, nous sommes persuadés que, justement parce que cet accessoire est extrêmement simple, parce qu’il existe depuis toujours ou presque, et parce qu’il n’est pas réellement indispensable, on a tendance à l’oublier et à ne plus le considérer comme un outil à part entière. Or, le carnet est un support capable de créer du jeu ou, à défaut, de vous aider à utiliser de nombreuses techniques d’animation de partie. Par exemple, rares sont ceux qui ont réellement réfléchi à diverses manières de le revisiter maintenant que le numérique et les logiciels de retouche d’images ont pignon sur rue. C’est pour cette raison qu’après avoir évoqué quelques questions générales, nous allons vous présenter aujourd’hui des techniques qui nous semblent particulièrement intéressantes à utiliser avec des carnets, pour peu que l’on ait envie de creuser cette approche. Il en existe bien d’autres, mais on va essayer de se concentrer en priorité sur certaines que l’on utilise ou que l’on a utilisées à nos tables. Attention, ça va déjà être très long et, vu qu’on a eu la « bonne idée » de faire une campagne impliquant des voyages dans le temps, parfois un peu complexe.
Vous le savez très probablement déjà, mais nous publions ces billets en marge de notre campagne de précommandes pour Château Falkenstein. Alors, si vous ne connaissez pas le jeu, n’hésitez pas à vous rendre sur cette page pour en apprendre davantage, ou à la partager (ou partager cette page) si ce que l’on dit ici vous intéresse : lien vers la page
Préambule
Commençons par enfoncer une porte ouverte. Comme vous l’avez vu dans notre billet précédent, on peut réaliser de très nombreux types de carnets et y passer plus ou moins de temps. Toutefois, à moins que vous ne jouiez avec un groupe déjà convaincu que l’écriture de carnet est un plaisir à part entière et une autre façon de profiter de la partie, il vaut mieux être conscient que cela demande des efforts, et que ceux-ci ne sont pas à prendre à la légère. De notre point de vue, vous devriez faire en sorte de montrer que vous appréciez ces derniers et donner aux carnets un réel impact une fois autour de la table de jeu, mais aussi vous en inspirer pour avoir une idée de ce que veut vraiment votre groupe, ou comme sources d’éléments à réintégrer dans vos parties. En caricaturant, vous devriez faire en sorte que les joueuses comprennent que ce temps passé sur leurs carnets leur procurera encore plus de plaisir une fois en jeu.
La calibration
Sous ce nom barbare se cache une idée très simple : s’assurer que tout le monde ait compris la même chose. On vous en parlait en introduction du billet précédent, mais dans la vraie vie, on se trompe, on entend mal, on est trop captivé par le jeu pour noter tel ou tel élément, on fait des fautes, etc. Et si les notes peuvent s’en ressentir, c’est souvent bien pire quand on n’en prend pas.
Toutefois, lorsque le groupe a l’habitude d’utiliser des carnets et de les partager par mail, soit parce que les carnets sont eux-mêmes numériques, soit parce que vos camarades ont pris de simples photos de leur carnet physique avec leur téléphone portable, vous pouvez très facilement y jeter un coup d’œil et regarder s’il y a des incompréhensions. Si vous le faites à chaque séance, il est rare d’y passer plus d’un quart d’heure, et il est alors très facile de corriger ce qui risque de poser problème avant la prochaine fois. Cela peut sembler idiot ou chronophage, mais au final, cette pratique fait régulièrement gagner du temps et permet d’éviter de gâcher une scène importante à cause d’une bête confusion.
Plus intéressant encore, vous n’êtes pas obligé de « corriger » ces incompréhensions. Vous avez le choix, et rien ne vous empêche d’en tirer parti pour créer davantage de jeu.
Admettons que vous vous apercevez qu’un PNJ n’est pas noté de la même façon dans un carnet, par exemple parce qu’une joueuse a compris qu’il s’agit d’une créature faërique. Vous pouvez alors :
+ partir du principe que cette joueuse a raison et que ses camarades ont tort. Si vous pensez que c’est plus intéressant que ce que vous aviez prévu, son personnage peut être le seul à voir au-delà des illusions que crée la créature ;
+ trouver une raison qui explique cette différence, et en faire un élément de jeu sur lequel il est possible de rebondir. Par exemple, peut-être que le personnage a entendu un autre PNJ en parler comme d’une Faë. Qui est ce second PNJ ? Pourquoi a-t-il dit ça ? Qu’en est-il vraiment ?
+ renforcer le décalage en jouant sur l’ambiguïté, notamment en proposant des scènes dont cette dernière serait l’intérêt. Il peut s’agir d’un entretien en tête à tête avec des mots à double sens, ou d’une situation que l’ambiguïté rendrait justement encore plus intrigante. Ici, le PNJ pourrait vouloir se procurer du Fer froid ou dire des phrases au personnage de la joueuse ou du joueur ayant mal compris de type : « nous sommes pareils tous les deux », etc.
Si vous jouez en mode « Second Pacte », ce genre de confusions peut notamment se produire avec les grades, les noms et surtout les nationalités des PNJ. À vous de voir à quel point vous pouvez en jouer pour rendre l’expérience plus intéressante pour vos camarades, et à quel moment vous risquez de les décourager ou de leur gâcher la soirée. Le dosage nécessite parfois un peu de pratique.
Donner un carnet déjà préparé comme historique
Cette technique est particulièrement simple à comprendre, mais elle demande une quantité importante de travail, ce qui la limite à des occasions bien particulières. Elle consiste à donner un carnet, ou un début de carnet déjà fait, à une joueuse et de lui demander d’incarner la personne qui l’a rédigé. Ce genre d’approche plaira par définition plus à celles et ceux qui préfèrent qu’on leur propose des personnages plutôt que de les créer, mais elle est surtout adaptée lorsqu’il est question d’interpréter momentanément un PNJ préexistant, un personnage de la culture populaire ou un personnage historique. Ainsi, la personne se joignant au groupe pourra plus facilement trouver le ton juste et s’intégrer à la campagne. Si vous êtes intéressé par des personnages plus fantastiques, cela peut aussi parfaitement fonctionner avec ceux dont la mémoire est limitée ou altérée (victime d’un sort, Automates, golems, êtres similaires à la créature de Frankenstein, etc.), ce qui justifie que ses souvenirs se limitent au contenu du carnet.
Cette technique permet en outre d’utiliser toutes celles liées aux carnets des PNJ, et qui feront probablement l’objet d’un autre billet.
Pour prendre un exemple concret, dans notre campagne, les personnages traquent un PNJ qui semble s’intéresser à tous les bâtiments de Paris d’inspiration égyptienne (place du Caire, pyramide du parc Monceau, fontaine du Fellah, etc.) et dont ils trouvent le carnet dans un théâtre. Un peu plus tard, ils finissent par mettre la main dessus alors qu’il était prisonnier d’une bande de malfrats parisiens. Celui-ci s’avère n’être rien de moins que le professeur Moriarty. Pour la séance suivante, un nouveau joueur se joint momentanément au groupe pour incarner le célèbre criminel. Il reçoit donc ce carnet qui lui permet d’en apprendre davantage, et discute un peu avec l’hôte pour voir comment l’aborder. Le joueur et le reste du groupe finiront par comprendre qu’il ne s’agit que d’un homoncule du célèbre professeur, sacrifié afin de duper les autorités.
Les annotations
Là encore, on reste sur une technique très simple, mais elle demande que vous modifiiez réellement le carnet de quelqu’un d’autre (sa version numérique si vous ne souhaitez pas toucher à l’original, voir « Altérer un carnet » plus bas), et il vaut donc mieux valider avec la joueuse ou le joueur concerné que cela ne lui pose pas de problème.
Le principe est que le carnet du personnage va systématiquement être annoté et commenté par un PNJ. Ce type de dialogue, finalement assez rare en JdR, vous permet d’utiliser de nombreuses techniques de type PNJ-miroir, de donner quelques indices, de faire progressivement monter en tension des conflits narratifs liés au personnage, etc.
Et si cette technique est sans doute plus efficace sur la durée, séance après séance, vous pouvez bien sûr l’utiliser de façon plus ponctuelle, par exemple parce qu’un personnage retrouve son carnet commenté lors d’une aventure.
Dans un jeu comme Château Falkenstein, ce ne sont pas les commentateurs potentiels qui manquent, mais on peut par exemple imaginer un personnage aux multiples personnalités comme docteur Jekyll et Mister Hyde, un amant fantomatique ou faërique avec qui cela reste le seul moyen de communiquer, un supérieur hiérarchique un peu trop présent, ou au contraire un assistant monstrueux ou un majordome cassant jouant le rôle de parents de substitution, un grand-père qui avait l’habitude de faire les quatre cents coups, mais qui ne peut plus quitter son domicile et dont c’est le seul moyen de vivre des aventures par procuration, etc.
Voici un exemple issu de notre table, où une bonne partie de l’intrigue est liée aux voyages dans le temps. Le commentateur (Léonard) est une version alternative et plus âgée d’un PJ (Henri), qui revient à l’époque à laquelle se déroule la campagne pour essayer de tuer ce dernier. Il a eu le temps de fomenter sa « vengeance », et a toujours été en possession des carnets d’Henri. Il a donc eu tout le loisir de les commenter et de cultiver sa haine à son égard.
La mort d’un personnage
L’utilisation du carnet est également très utile lorsqu’un PJ meurt ou disparaît.
Si votre premier souci est d’intégrer le nouveau PJ au groupe et d’assurer une forme de continuité, vous pouvez faire en sorte que le carnet du disparu tombe entre les mains du nouveau personnage. Cela rend le passage de relais plus facile pour tout le monde, et donne une excuse au remplaçant pour connaître l’essentiel de ce que savait son prédécesseur, en évitant à la joueuse ou au joueur concerné de se faire des nœuds au cerveau.
Si vous souhaitez surtout faire en sorte que les éléments de l’univers auxquels était lié le personnage ne disparaissent pas avec lui, vous pouvez vous servir du carnet pour faire comprendre au reste du groupe les informations que le disparu n’a pas encore eu le temps de partager (et celles qu’il a préféré garder pour lui), et qui peuvent être utiles pour le reste de la campagne (révélations récentes, indices oubliés, etc.).
Par exemple, à notre table, Jeanne explique dans sa présentation qu’elle s’est lancée dans l’aventure pour accompagner sa sœur, sous les conseils du docteur de cette dernière qui a diagnostiqué une sénilité précoce. Personne d’autre n’est au courant, et cela fait partie d’une machination plus importante. Si Jeanne venait à disparaître, son carnet serait le seul moyen de retrouver ces informations.
Vous pouvez d’ailleurs aller encore plus loin en utilisant le carnet du disparu comme une sorte d’énigme, en amenant le reste du groupe à enquêter sur ce que savait l’ancien personnage. Par exemple, si un personnage est tué par un PNJ ayant un lien avec lui, comme un membre de sa famille, son rival ou son ennemi juré, le carnet est sans doute le premier outil pour comprendre ce qu’il s’est passé ou commencer à chercher une piste menant au criminel. Parfois, fouiller dans le carnet peut même être uniquement un moyen de présenter ses condoléances aux proches du disparu. C’est à la fois une façon très efficace de dire au revoir au personnage, de relancer un nouvel arc ou de rendre la séance très personnelle, surtout si ses compagnons ont soif de vengeance ou d’explications. Ceci fonctionne également très bien si vous faites jouer plusieurs groupes dans votre campagne (multitables) ou à plusieurs époques différentes.
Monologue intérieur
Cette technique, qui implique de jouer en partie en transparence, est inspirée d’approches similaires utilisées dans le Grandeur Nature (GN) et n’est pas sans rappeler le confessionnal de certaines émissions de télé-réalité. L’idée générale est de demander à une joueuse ou à un joueur d’écrire dans son carnet, idéalement d’une séance sur l’autre, ce que son personnage ressent à propos d’un sujet particulier ou d’un autre personnage. L’idée est d’exprimer ce qu’il pense vraiment, typiquement ce qu’il écrirait dans son journal intime, mais qu’il ne pourrait jamais exprimer de vive voix parce que sa propre pudeur, les conventions sociales ou l’action l’en empêchent. Le texte peut ensuite être envoyé à tout le monde, mais il nous semble que l’idéal est que la joueuse ou le joueur le lise à haute voix devant le reste de la table. Les autres personnages, eux, n’en savent rien. Même si nous ne l’avons pas fait de façon aussi systématique pour éviter le double emploi avec certaines autres techniques, nous avons tendance à penser que le monologue intérieur tel que décrit ici est intéressant à utiliser en tournant entre les différents personnages, avec un seul monologue d’un seul personnage par séance.
Selon vos habitudes, il peut sembler contre-intuitif (voire anti-jeu) d’utiliser une technique reposant ainsi sur le fait de donner des informations au reste de la table sans que les personnages ne les connaissent. Pour nous, il n’en est rien. Plus encore, cette approche est très efficace pour renforcer l’ambiance, créer du drame et s’attarder sur les émotions et les sentiments d’un PJ. En plus de mettre en valeur cet aspect de la littérature victorienne et du genre sans prendre énormément de temps effectif de jeu, c’est aussi un moyen de développer un personnage et, pour la joueuse ou le joueur concerné, de signifier à l’hôte ou au reste du groupe ce qui l’intéresse pour la suite. Les éventuels débordements qui pourraient arriver parce qu’un membre de votre groupe oublie que son personnage n’est pas au courant sont à la fois rares, pas forcément importants et peuvent facilement s’expliquer si besoin est (le personnage aura interprété le langage corporel de son camarade, remarqué qu’il était perturbé, ou vu la façon dont il regardait quelqu’un d’autre, etc.).
Naturellement, il existe de nombreuses variations possibles de cette méthode. L’une d’elles, qui peut être très intéressante, est celle du double monologue. Elle consiste à demander à deux personnages de préparer et de lire un monologue. Ceci est particulièrement fertile lorsqu’il s’agit de deux personnages liés, mais dont les points de vue s’opposent.
Par exemple, dans le cadre de notre campagne, il aurait pu s’agir entre autres des deux sœurs Jeanne et Catherine, la thaumaturge et la scientifique, comme le montrent à la fois l’extrait ci-dessus (tiré du carnet de la première) et les deux pages ci-dessous (issues de celui de la seconde).
Les indiscrétions
Cette technique est extrêmement simple et nous nous en sommes beaucoup servis à notre table. Toutefois, nous conseillons de ne l’utiliser que dans des circonstances très favorables (ce qui était le cas pour nous) et en faisant attention à bien la doser. Elle part du principe qu’un PNJ a eu accès au carnet d’un personnage et s’en sert pour lui nuire. Cela peut être en faisant des révélations qui le mette dans l’embarras, en exploitant des informations qui y sont contenues, ou, de façon plus générale, en amenant quelqu’un à lui demander des comptes.
Cette méthode a plusieurs avantages pour l’hôte, comme de permettre de redonner au groupe des informations dont ne bénéficiait jusqu’à présent qu’une seule joueuse ou qu’un seul joueur, rendre la tournure des événements bien plus personnelle, réintroduire certains éléments plus intimes liés à un personnage de façon à ce qu’ils soient plus sensibles pour les autres (un peu comme dans la technique précédente), etc.
Le principal souci de cette approche est qu’elle peut amener les joueuses et les joueurs à se méfier de ce qu’ils écrivent dans le carnet, et à ne plus considérer ce support comme un espace qu’ils peuvent s’approprier en toute confiance. Pire encore, cela peut leur donner l’impression que leur investissement en temps, voire affectif, se retourne contre eux, ce qui est le meilleur moyen de les décourager de ne plus jamais écrire quoi que ce soit dans leur carnet. Donc, si vous êtes sûr de votre coup, cela peut se tenter, sinon c’est bien trop cher payer pour prendre le risque. Autrement dit, quoi qu’il arrive, assurez-vous de ne pas sanctionner votre groupe parce qu’il a suivi les règles que vous lui avez demandé de suivre.
Il existe toutefois quelques astuces pour atténuer cet effet, même si la plupart ne peuvent être utilisées qu’une ou deux fois avant de lasser. Par exemple, vous pouvez ne donner au PNJ indiscret que des secrets dont le groupe ou les autres PNJ présents sont déjà au courant. Cela permet de dévoiler un éventuel protagoniste, d’en apprendre davantage sur lui ou de faire une scène plus légère ou comique, sans qu’il n’y ait pour autant de retombée réellement gênante pour le PJ. Prenons un exemple. Vous pouvez voir ci-dessous une page issue du carnet d’Henri annoté (voir technique « les annotations »). Le groupe la trouve dans les affaires de Léonard, le PNJ qui commente le carnet. Et il est vrai que le carnet ne laisse aucun doute possible sur le fait qu’Henri n’était vraiment pas quelqu’un de clair envers ses compagnons au moment où il a écrit ces pages. Toutefois, comme c’est une information qui a déjà été débattue et digérée par le groupe, cette indiscrétion ne fait finalement de mal à personne et permet surtout d’en apprendre davantage sur le commentateur et sur la relation qu’il entretient avec Henri.
Demander d’écrire un développement dans le carnet
Sorte de variante plus large de la technique du monologue intérieur, cette technique devrait rappeler quelque chose aux amateurs d’Apocalypse World et aux meneurs qui ont l’habitude de partager la narration. Le principe est simple : si vous souhaitez qu’un élément de l’univers ou qu’un personnage soit davantage développé, demandez à une joueuse ou à un joueur d’écrire à son sujet dans son carnet. Cela lui permettra de s’engager créativement dans la campagne ou un élément précis d’une façon originale qui pourra, par exemple, vous décharger d’une partie de la préparation. Idéalement, faites attention à ne pas trop en demander et essayez de privilégier l’interprète d’un personnage ayant des raisons de mieux comprendre le sujet que ses camarades (Talents, relations, espèce, etc.).
De notre expérience, il existe surtout deux façons de procéder : demander un développement en cours de partie ou entre deux séances.
Dans le premier cas, il vaut mieux demander à la personne concernée de donner les grandes lignes à l’oral, afin d’être sûr qu’il n’y ait pas de problème majeur et de pouvoir enchaîner rapidement. Elle devra alors écrire au moins un paragraphe (ou un schéma, un dessin, une carte, etc.) sur ce point dans son carnet d’ici la prochaine séance. Cela permet à la fois de fixer ce qui a été décidé, et lui donne l’occasion de donner de nouveaux détails qui seront autant d’éléments sur lesquels broder ou rebondir.
Si le développement doit se faire entre deux séances, le mieux est sans doute de le demander discrètement en anticipant ce dont vous aurez besoin, afin, la prochaine fois, de donner l’impression que le personnage est particulièrement expert dans le domaine en question. Selon la situation, une lecture à haute voix pourra être adaptée (présenter quelque chose qui est connu de tous) ou contre-productive (si vous voulez démontrer l’expertise du personnage). Il peut aussi arriver que vous ayez besoin de voir l’extrait et de le valider avant de commencer la séance.
Parmi les éléments que vous pouvez facilement utiliser avec cette technique, on compte :
+ un élément de l’univers : lieu, pays, faction, etc. ;
+ la prochaine étape probable du plan du méchant (attention à ne pas en abuser, mais permet de faire réellement briller un personnage de détective) ;
+ un flash-back lié au personnage ;
+ une technologie, une invention, un sort, etc. ;
+ un PNJ et ce qu’en sait le PJ en question, ou l’histoire de leur relation ;
+ une liste des rumeurs courant sur un événement ou une personne (vous choisirez lesquelles sont vraies et lesquelles sont fausses) ;
+ ce qu’en dit la presse ;
+ …
Pour donner un exemple, lors d’une séance les personnages ont trouvé un appareil en kit pouvant être branché à un télégraphe pour envoyer des télégrammes codés. La joueuse incarnant Catherine a schématisé l’appareil une fois monté sur son carnet.
Et tant qu’à y être, voici un second exemple avec un article paru dans la presse et écrit par Léon, un PJ qui s’avère aussi être journaliste.
Altérer un carnet
Le gros morceau, donc…
Altérer un carnet est sans doute la première technique qui vient à l’esprit lorsque l’on cherche à pousser leur utilisation en jeu. Toutefois, ce n’est pas la plus simple à expliquer ici. D’une part parce que nous ne sommes pas des graphistes, et que des tutoriels sur la retouche d’images vous en apprendront sans doute beaucoup plus que nous, ensuite parce que les possibilités sont quasi-illimitées. C’est la raison pour laquelle nous allons juste nous concentrer sur un exemple que nous avons utilisé, afin de montrer quelques possibilités.
Mais commençons par une mise en garde : nous n’allons parler ici que des modifications faites sur des fichiers numériques et non sur des carnets physiques. Comme expliqué précédemment, les carnets demandent des efforts à vos camarades, et travailler sur du numérique évite de les gâcher par maladresse ou parce que l’on a oublié un détail. De la même façon, nous vous conseillons de choisir des explications qui impliquent qu’il existe une copie du carnet du personnage (thaumaturgie, technologie, faussaire, etc.) et d’éviter que ce dernier en soit dépossédé. Enfin, comme cette approche demande beaucoup de temps, on vous conseille soit de l’appliquer relativement tôt dans la campagne, soit de ne le faire que sur des sections de carnets.
Avant d’altérer un carnet en profondeur, la première étape est de vous demander quelle est la raison de cette altération, et ce que son existence dit du monde ou des personnages ; et bien sûr, ce qu’elle apporte au jeu. Par exemple, une version écrite avec une autre police de caractères, un aspect un peu administratif, des passages entourés et l’utilisation de commentaires dans une autre langue peuvent raconter que les autorités d’un pays tiers, sans doute des services secrets, en ont fait une copie. Autre exemple, une version abîmée et brûlée peut montrer que les personnages ont réchappé à la salamandre que l’on a laissée dans leur chambre pour essayer de se débarrasser d’eux.
Dans l’exemple que nous allons prendre, il s’agit d’une version altérée du carnet de Madeline. Avec l’aide d’un autre personnage, Henri, cette jeune Faë poursuit une créature monstrueuse, qui n’est pas sans rappeler la créature de Frankenstein, dans les rues de Paris. Pour simplifier au maximum, Henri est son fils qui est revenu dans le temps et elle l’ignore, et la créature est Henri une fois âgé – 40 ans plus tard environ – et revenu une seconde fois dans le présent (pour les plus attentifs d’entre vous, Henri a bien donc deux versions futuristes de lui-même qui traînent, celle-ci et Léonard…), mais qui a été trahi par des associés qui l’ont transformé en cette espèce de monstre. Il a soigneusement préservé le carnet de sa mère au fil des décennies, mais a fini par perdre la mémoire, et notamment par oublier le prénom de celle-ci au fil de sa transformation. Cette question semble l’obséder, et plusieurs autres indices trouvés durant la séance vont dans ce sens. La version altérée du journal est en revanche, à ce stade de la campagne, le premier élément qui permet d’imaginer que l’intrigue va tourner autour de voyages dans le temps (ce que tout le monde ignore, sauf le joueur qui interprète Henri) et qui commence à développer les liens entre la créature, Madeline et les autres personnages.
La première étape est donc de vieillir le carnet. Comme expliqué, on ne remplacera pas un tutoriel sur ce point, mais en jouant avec quelques effets de textures et de transparence de calque, et en utilisant l’outil « doigt » pour faire baver l’encre, on arrive à un résultat convaincant assez rapidement. Certaines parties des notes ont été traitées comme brûlées ou arrachées pour enlever des informations gênantes ou, plus souvent, pour gagner du temps et avoir moins de surface à retravailler.
La seconde étape est ensuite, justement, de rajouter pas mal d’éléments qui pourront être des indices, à la fois sur les tourments de la créature et sur ce qu’il s’est passé dans la vie d’Henri entre l’époque actuelle et celle où il se fait transformer en créature. Voyons quelques-unes de ces pages en détails (vous devrez sans doute cliquer sur les images pour pouvoir voir certaines des altérations en question).
Sur la première double page, on peut remarquer les éléments suivants :
+ le nom de Madeline a été arraché, ce qui explique que la créature n’arrive pas à le retrouver ;
+ un texte difficile à lire a été rajouté. En le faisant expertiser on pourra découvrir qu’il s’agit de russe, et plus précisément de mots affectueux (en l’espèce d’un fils à sa mère). C’est un indice sur le fait que la créature a longtemps vécu en Russie ;
+ un tampon délavé de l’evidenzbureau, les services secrets autrichiens. Il s’agit là d’une porte ouverte pour rajouter cet élément plus tard dans le temps « présent » de la campagne, ce qui aura lieu six mois plus tard (temps réel).
Sur cette double page, on distingue surtout :
+ l’apparition d’un sceau cabalistique sur le portrait de Léon (qui est donc aussi un PJ). En regardant dans le carnet, on s’aperçoit que ce tracé se retrouve sur tous les personnages masculins présentés dans le carnet ;
+ les mots « papa » et « démon » écrits sur le portrait de Léon.
Ces éléments sont liés au fait qu’Henri, comme la créature, ne savent pas qui est leur père et le cherchent parmi tous les hommes rencontrés par Madeline. Ce qui rend Léon un peu plus intéressant est qu’il s’agit d’un PJ, et que Madeline et Léon n’ont a priori aucune relation romantique ni aucune intention d’en commencer une l’un avec l’autre.
Enfin, sur cette double page, on peut voir que la créature fait une liste de prénoms féminins barrés qui commencent tous par « Ma » et finissent par « ine ». On retrouve son obsession, elle qui ne supporte pas de perdre la mémoire et de ne plus se souvenir du prénom de sa mère (Madeline) dont elle a pourtant encore des bribes.
Brisons là pour cet exemple. Il existe encore bien des choses à l’intérieur, comme des portraits d’autres PJ grattés semblant indiquer une forme de rage, un plan caché dans une page correspondant à des travaux en Russie, un nouveau portrait de PNJ qui n’était pas là avant, etc. Si vous voulez voir tout cela plus en détail, vous pouvez télécharger les deux carnets en cliquant sur les liens suivants :
+ le carnet de Madeline telle qu’elle l’a écrit
+ le carnet vieilli telle qu’elle l’a trouvé dans les affaires de la créature
En résumé, lorsque vous cherchez à altérer un carnet, ce qui compte le plus n’est pas votre virtuosité avec des outils de retouche d’images, mais bien le fait d’avoir une ou plusieurs histoires à raconter, de savoir comment les raconter grâce à des modifications, et d’imaginer comment cela s’intègre avec ce que vivent déjà les personnages.
Continuer à modifier un carnet dans le temps
Altérer profondément un carnet demande du temps et, pour peu que vous soyez contents du résultat et votre groupe aussi, cela a tout d’un accomplissement. La plupart des hôtes s’en tiennent là. Pourtant, rien n’interdit d’aller plus loin. En effet, vous pouvez faire de nouvelles modifications – ou utiliser d’autres techniques présentes sur ce billet – un peu plus tard pour que le carnet évolue lui aussi dans le temps, ait sa propre histoire et que celle-ci soit porteuse de sens. Ou, pour le dire autrement, pour qu’il devienne presque un personnage à part entière.
Ceci nécessite de jouer assez longtemps, mais c’est en général assez marquant, d’autant plus que les carnets ont souvent une dimension intime qui rend l’impact de leurs évolutions bien plus personnel.
Reprenons l’exemple du carnet vieilli de Madeline présenté ci-dessus. Léonard, le personnage qui détestait Henri et qui annotait son carnet (une autre version plus âgée et vivant initialement dans le futur de ce PJ) avait une attitude totalement différente avec celui de Madeline. C’est ce que l’on voit ci-dessous. Si ce PNJ s’est procuré la version vieillie du carnet de la jeune Faë qui était en possession de la créature, il cherchait avant tout à la restaurer et à remplacer tous les mots qui avaient disparu au fil du temps. En effet, ce carnet était la seule chose qu’il lui restait de sa mère (Madeline), et il faisait tout pour le conserver. C’est un des éléments qui donnait à cet antagoniste un côté attendrissant. Cet aspect n’aurait pas du tout été le même si le groupe n’avait pas d’abord vu ce carnet en cours d’écriture passer au stade vieilli et abîmé, puis à celui de : « en cours de restauration ».
Un autre exemple serait tout simplement un carnet qui passe de main en main, et où chaque lecteur apporte des commentaires et des marques supplémentaires. Cela peut très facilement fonctionner lorsque les personnages sont opposés à une faction dirigée par un conseil, comme un ordre thaumaturgique, une cellule criminelle ou clandestine, etc.
Faire de fausses pages
Si vous vous êtes amusé à altérer un carnet avec un logiciel de retouche d’images, la prochaine étape logique est sans doute de créer une fausse page qui n’a donc jamais été écrite, ni par le joueur ou la joueuse, ni par le personnage, mais qui en a l’air. Cette technique est particulièrement marquante et peut même amener la personne concernée à douter et à se demander si elle a réellement écrit la page en question ou pas. Toutefois, à moins, bien sûr, que ce soit justement le modus operandi du grand méchant de votre campagne, il sera très difficile de s’en servir plus d’une fois ou deux. Non seulement cette technique demande du temps, mais elle deviendrait vite répétitive.
Aussi vaut-il mieux y avoir recours uniquement lorsque vous avez une très bonne raison d’utiliser ces fausses pages dans votre scénario. Fort heureusement, les possibilités ne manquent pas (thaumaturgie, technologie, faussaires, etc.), et le potentiel de nuisance que peuvent avoir les rivaux des personnages avec des faux imitant leur écriture est particulièrement vaste (faire accuser les personnages, donner un faux rendez-vous, transformer un de leurs alliés en ennemi, etc.). Assurez-vous juste d’y avoir bien réfléchi avant de rédiger la ou les fausses pages. Cela vous permettra de faire court et efficace.
Si vous utilisez un carnet déjà bien rempli comme modèle, la réalisation prend du temps, mais rien de bien difficile. Commencez par préparer un fond de page semblable à celui du carnet. Ensuite, repérez dans les pages précédentes les tics de langage et les mots que vous souhaitez reproduire pour composer le texte que vous avez prévu. Il vous suffit alors de les copier-coller et, probablement, de les détourer si votre fond n’est pas uni. Si c’est le cas, cette étape devrait être de loin la plus longue. Enfin, si vous ne retrouvez pas les mots précis, il vous suffit de découper des lettres et non des mots complets, et faire attention à les assembler de façon crédible, ce qui demande un peu plus de travail s’il s’agit d’une écriture liée, mais cela n’a rien d’impossible.
Si vous voulez vraiment peaufiner votre page, faites attention à ces quelques détails qui n’ont l’air de rien mais peuvent faire toute la différence quant à sa crédibilité :
+ essayez de laisser des marges sur les côtés qui soient comparables à l’original ;
+ de même, veillez à l’espacement entre chaque ligne ;
+ inspirez-vous d’une autre page pour voir quelle inclinaison donner aux lignes ;
+ orientez les différentes lignes de façon à ce qu’elles ne soient pas toutes parallèles ;
+ quand vous avez fini, rajoutez quelques défauts à la page (vieillissement, taches, froissage) à la fois pour donner l’impression qu’elle a du vécu, mais aussi pour créer des irrégularités et pour fusionner un peu plus facilement les différents éléments graphiques entre eux.
Toujours pour prendre un exemple issu de notre table, la page ci-dessous a été réalisée à partir du carnet altéré (vieilli) de Madeline. Comme notre campagne joue beaucoup avec la notion de retour dans le temps, l’idée n’est pas ici que cette page soit fausse, mais qu’elle n’ait pas encore été écrite par Madeline au moment où les personnages la découvrent, et qu’elle soit pourtant déjà vieille de plusieurs décennies.
Comme expliqué en introduction, ce billet a beau être particulièrement long, il est pourtant loin d’être exhaustif sur toutes les façons de créer du jeu avec ces carnets. Nous espérons juste qu’il vous aidera à les regarder autrement, et, qui sait, à tenter de les utiliser.
En fonction du temps à notre disposition, et même si c’est quelque chose dont les rôlistes ont beaucoup plus l’habitude, nous ferons peut-être un autre billet sur les carnets des PNJ.
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