La Brigade chimérique
En novembre 2010 sortait chez Sans Détour la Brigade chimérique, un livre hybride à la fois adaptation en jeu de rôle et encyclopédie de l’univers de la bande dessinée éponyme de Serge Lehman, Fabrice Colin, Gess et Céline Bessonneau. Cette dernière revisite à la fois les heures sombres de notre histoire et un genre littéraire autrefois fleurissant en France : le merveilleux scientifique. Quitte à faire hurler les puristes, disons que c’est quelque chose qui n’est pas sans rappeler le phénomène beaucoup plus connu des pulps et que l’on a ici un autre pendant de la culture populaire, précurseur d’une bonne partie du patrimoine génétique de la science-fiction et des super-héros. Cette transition, entre passe-muraille européens et kryptioniens américains, est d’ailleurs un des thèmes de la bande dessinée.
Romain d’Huissier fait partie de l’équipe (impressionnante amha, cf. ci-dessous) qui s’est chargée de cette adaptation et est à l’origine du projet. Pour tout dire, cela fait tellement longtemps qu’on se fréquente avec Romain, depuis bien avant de bosser sur Qin, que j’ai l’impression que cela ne sert plus à rien de le présenter et que tout le monde le connaît déjà. Pour ceux pour qui ce ne serait pas le cas, je vous enjoins à aller regarder sur sa fiche ou son site dans les liens ci-dessous. Pour les autres, disons simplement que son actualité reste très chargée. Outre ses sorties JdR sur la gamme Hexagon avec le compère Laurent, son-projet-secret-de-jdr-dont-il-ne-faut-rien-dire-mais-que-j’attends, son activité dans la presse rôliste, Critic vient d’annoncer une trilogie de romans à venir dont le premier doit sortir cette année. Bref, il y a de quoi faire. C’est peut être aussi pour cela qu’il a voulu écrire un 5 trucs très positif, encourageant à se prendre en main plus que sur les petites galères à éviter. Je vous laisse juger par vous-même et découvrir ce qu’il a retenu de ses expériences d’adaptations de bandes dessinées en jeu de rôle.
Pour plus de détails sur la Brigade chimérique : http://goo.gl/T86XXr
Pour lire la biographie de Romain : http://www.legrog.org/biographies/romain-rom1-d-huissier
Pour aller sur le site de Romain : http://rom51.blogspot.fr/
1. Le jeu de rôle n’est pas / plus un loisir honteux
Les rôlistes de ma génération se souviennent avec angoisse d’une période noire au milieu des années 1990, durant laquelle notre loisir fut littéralement crucifié dans quelques émissions télévisées aussi stupides que – hélas – populaires. Des suicides d’adolescents ou des profanations de cimetière furent imputés à la pratique du jeu de rôle, des parents éplorés virent leurs témoignages bidonnés pour aller en ce sens et il s’ensuivit quelques conséquences néfastes (fermetures de clubs en collèges et lycées, par exemple). Cette mauvaise presse jeta une forme d’opprobre sur un loisir jusqu’ici peu connu et considéré de façon plutôt neutre.
Les rôlistes avaient même fini par intégrer ce regard et s’en étaient pour certains presque fait une fierté – celle de pratiquer une activité un peu sulfureuse, d’être en marge d’une société de moutons, etc. Tout cela correspondait de plus à la fin d’un âge d’or des ventes et à la disparition du principal magazine représentant le jeu de rôle (Casus Belli dans sa première incarnation). Ce fut même comme si personne ne s’était rendu compte qu’après ce bref feu de paille médiatique, le jeu de rôle était retourné dans l’anonymat – remplacé en tant que bouc émissaire par les films violents, les jeux vidéos sanglants, la télé-réalité – et que certains des éditeurs et auteurs les plus emblématiques de cette période étaient devenus écrivains (Mathieu Gaborit, Pierre Pevel…) ou montaient des maisons d’édition littéraires (Bragelonne, Mnémos…).
Quand j’ai conçu le projet d’adapter La Brigade chimérique, il est vrai que j’avais un peu de cette crainte en moi – qu’au mieux, le jeu de rôle soit considéré comme un média mineur et méconnu et qu’au pire, il soit associé à une réputation trop rebutante. À ma grande surprise, ce fut le contraire qui se produisit : les auteurs de la bande dessinée accueillirent l’idée avec enthousiasme et curiosité, comprenant le potentiel d’un tel ouvrage en terme de « bible » ou « d’encyclopédie » pour leur univers parfois à l’étroit dans ses planches façon comic book. Serge Lehman vit qu’il pourrait y développer des concepts sous-tendant sa vision quasi métaphysique du surhomme – celle-ci n’ayant pu être mise en avant dans la bande dessinée. Gess fut heureux de pouvoir créer d’ambitieuses et inédites illustrations afin de peaufiner sa vision de cette Europe chimérique. Quant à l’Atalante, ils intégrèrent immédiatement le potentiel commercial d’un tel « produit dérivé », qui permettrait de prolonger le buzz autour de leur série et d’aller à la rencontre d’un nouveau public. Bref, le projet fut accepté avec une grande bienveillance et un intérêt dénué de tous préjugés : chacun des acteurs de la bande dessinée (auteurs comme éditeur) voulait que ce jeu de rôle voit le jour – pour des raisons artistiques et commerciales qui leur semblaient évidentes.
Et tant durant la réalisation du jeu adapté de La Brigade chimérique qu’au moment de sa sortie, cela se confirma. Il y eut de la promotion croisée (le jeu de rôle devant sortir juste après le dernier tome de la bande dessinée) et surtout un lancement en grande pompe au festival des Utopiales 2010 : conférence de présentation au public et conférence de presse mêlant auteurs de la bande dessinée et du jeu de rôle (les deux œuvres étant alors quasiment mises sur un pied d’égalité, présentées comme complémentaires), interviews diverses, initiation au jeu au sein du pôle ludique du festival, exposition des illustrations produites par Willy Favre, etc. Une reconnaissance véritable et sincère et un regard valorisant porté sur notre loisir.
Si l’on regarde autour de nous, on constate aisément qu’en effet, le jeu de rôle n’est plus ce loisir honteux qu’il fut peut-être il y a quinze ou vingt ans. Désormais, les écrivains venus de ce milieu n’hésitent plus à le mentionner (c’est même souvent écrit en quatrième de couverture de leurs romans), de nombreuses adaptations fleurissent (Les Chroniques des Féals, Les Lames du cardinal…) et sont considérées comme des produits prestigieux, des conférences sont données durant des festivals ou même dans des universités sur les spécificités du média (citons Julien Heylbroeck et Jérôme Larré comme intervenants), des thèses s’y intéressent (celle de Coralie David, par exemple).
À nous d’assumer à présent : le jeu de rôle est devenu respectable. Cela ne veut pas dire qu’il ne soit plus un loisir de niche ou qu’il soit sur le point de renouer avec le succès commercial (relatif) des années 1980, mais enfin : il a totalement sa place au sein de la culture populaire dite « geek » – pour le meilleur et pour le pire.
2. Poser ses couilles sur la table
Ce point est le corollaire du précédent.
Puisque le jeu de rôle n’est plus un produit honteux, de nombreuses possibilités s’ouvrent. Pour La Brigade chimérique, j’ai démarché seul et en mon nom les auteurs et l’éditeur de la bande dessinée. Je n’avais aucun acteur du milieu rôliste derrière moi (pour tout dire, je connaissais alors une petite traversée du désert), aucune structure pour crédibiliser ma proposition. Juste ma ludographie qui n’était à l’époque guère fournie. J’avais découvert l’œuvre par hasard chez mon libraire et en étais tombé amoureux fou dès le deuxième tome. Réflexe d’auteur de jeu de rôle : quand une œuvre vous titille ainsi, vous avez forcément envie d’en faire quelque chose pour notre loisir. C’est ce qui m’arriva et, pris d’une folie passagère, j’ai décidé de contacter Fabrice Colin (coscénariste de La Brigade chimérique et surtout ancien auteur de jeu de rôle) en premier lieu : je savais qu’au moins lui saurait de quoi je parlais et pourrait l’expliquer à ses camarades. C’était là ma porte d’entrée – la suite, vous la connaissez.
Mon audace fut payante, car le projet se monta avec l’accord de tous, au sein d’un éditeur aussi important que Sans Détour. Du fait de la disparition de l’aura sulfureuse du jeu de rôle ainsi que du nombre d’acteurs de la culture populaire qui furent jadis pratiquants, auteurs ou éditeurs, il est clairement possible d’oser. Oui, notre milieu, notre marché est petit – mais il n’est pas insignifiant pour autant, il a ses points forts et son public. Il suffit de savoir mettre cela en valeur.
N’hésitez donc pas à démarcher des éditeurs ou auteurs d’œuvres qui vous ont plu : ce n’est pas une chimère que de voir une adaptation se faire pour autant que vous soyez sérieux et pensiez bien le projet en amont pour en présenter tous les avantages. Récemment, Laurent Devernay a fait cette démarche pour adapter le manga français City Hall en prenant contact avec ses auteurs – et c’est même l’éditeur de cette bande dessinée (Ankama) qui a publié le jeu de rôle né de cette initiative ! Hexagon Universe s’est également monté de cette façon – en mettant en contact un éditeur / auteur (Jean-Marc Lofficier) qui souhaitait faire mieux connaître son univers de superhéros et un éditeur de jeu de rôle (les XII Singes) toujours en recherche de gammes originales. J’ai entendu récemment que le roman American Fays tout juste paru chez Critic allait lui aussi devenir un jeu de rôle.
Alors si un roman, une bande dessinée, un jeu vidéo, un court-métrage ou même un film vous a tapé dans l’œil, sachez qu’il est possible d’en faire un jeu de rôle officiel – avec un projet bien monté, bien présenté, ayant reçu l’accord de plusieurs des ayants droit, vous partez déjà avec une base solide. Il suffit juste d’un peu d’audace, de beaucoup de sérieux et d’un coup de pouce du destin.
3. Être chef de projet
Sur l’adaptation de La Brigade chimérique, ayant montré l’initiative de ma propre volonté, j’ai pris tout naturellement la place de chef de projet. C’est un rôle qui s’avère tour à tour stressant et gratifiant : en gros, on est l’huile qui va permettre à tous ces rouages de fonctionner en harmonie. Et sur ce projet en particulier, ces fameux rouages étaient assez nombreux.
Qu’on en juge. Je devais composer avec les impératifs posés par quatre acteurs différents, ayant chacun leurs propres attentes vis-à-vis du produit final :
– les auteurs de la bande dessinée : eux souhaitaient voir leur univers étendu. Que le jeu de rôle tienne un rôle d’encyclopédie de l’œuvre afin d’en révéler les coulisses, d’en enrichir le contexte, d’explorer de nouvelles pistes, de citer d’autres personnages de l’époque… Le tout sans risquer de leur bloquer l’opportunité d’écrire des préquelles ;
– l’éditeur de la bande dessinée : pour lui l’intérêt était d’avoir un beau produit dérivé qui ajoute au prestige de l’œuvre et permette d’en élargir le lectorat. Une visée commerciale donc – ce qui n’est pas un gros mot ici, puisque fonctionnant dans les deux sens (le jeu de rôle, dans son rôle d’encyclopédie, avait aussi pour but d’attirer à lui les lecteurs de La Brigade chimérique non-rôlistes) ;
– les auteurs du jeu de rôle : moi y compris, nous souhaitions rendre hommage à une œuvre nous ayant captivés tout en y apposant notre patte – dans le but bien entendu de faire le meilleur jeu de rôle possible, qui soit à la fois fidèle au matériau de base, mais sache s’en affranchir pour permettre son appropriation par les joueurs ;
– l’éditeur du jeu de rôle : il souhaitait publier un produit prestigieux (d’où le format qu’il nous accorda : 256 pages en couleur, couverture cartonnée…) à même de séduire un large public (d’où le prix modique : 36 €) et ce pour enrichir son catalogue d’une gamme luxueuse et de pure création française, au bon potentiel de vente (malgré son genre de niche). Il est plus que probable que cette adaptation lui ait ensuite servi de vitrine pour en négocier d’autres (Les Chroniques des Féals et Les Lames du Cardinal suivirent).
En tant que chef de projet, je devais concilier les attentes de chaque coin de ce carré. Il me fallait relayer les informations données par les auteurs de La Brigade chimérique à ceux de son adaptation, m’assurer que tout était compris, relire chaque texte pour en lisser la cohérence et le style, informer régulièrement les deux éditeurs des avancées du produit, sélectionner à travers les six tomes de la bande dessinée et tout son matériel promotionnel les dessins qui allaient servir à illustrer le jeu, valider les illustrations inédites en accord avec l’équipe de l’œuvre de base, assurer la communication et la promotion sur les réseaux sociaux, etc. Je devais être un médiateur cherchant le consensus général, mais il était aussi nécessaire que j’ai le dernier mot en cas de débat risquant l’enlisement – sans pour autant devenir un « tyran ». Être à l’écoute, mais garder le cap fixé. Un travail harassant qui fut – comme je l’ai déjà dit – source autant de stress (en cas de souci, de malentendu, de retard sur le planning) que de satisfaction (quand tout tournait bien, quand le jeu a enfin vu le jour).
Si vous faites la démarche de proposer aux auteurs ou éditeurs d’une œuvre d’en réaliser une adaptation en jeu de rôle, sachez qu’il vous faudra certainement endosser le rôle de chef de projet. En tant que premier interlocuteur et force de proposition, vous serez celui en qui ils auront placé leur confiance – et il faudra vous en montrer digne. Sachez anticiper tout ce que vous aurez à accomplir pour une telle adaptation et tout se déroulera au mieux – avec une bonne préparation et une intense réflexion préalable, il ne vous restera plus qu’à régler les soucis par essence imprévisibles et inévitables de dernière minute. Mais vous aurez balisé le terrain avant de vous lancer, vous facilitant d’autant la tâche.
4. Sélectionner la bonne équipe
Quand est venu le moment de réaliser concrètement l’adaptation de La Brigade chimérique, il m’a fallu m’entourer d’une équipe d’auteurs solides et fiables – mais surtout, adaptés à un tel projet. Hors de question de piocher au hasard parmi mes connaissances dans le milieu : tel Jim Phelps, je devais réunir les meilleurs pour ce produit particulier.
Les noms me sont vite venus. Déjà, car j’avais travaillé avec chacun d’eux au moins une fois et pu ainsi juger de leur sérieux sur pièce, mais aussi parce que les connaissant bien, je savais ce qu’ils pouvaient apporter au projet. Willy Favre fut choisi, car il est un très grand auteur, productif et rapide, mais aussi un game designer de talent ; il a de plus un goût prononcé pour les comics et avait déjà écrit un jeu dans le genre (Humanydyne) – j’eus également le plaisir de le voir réaliser des illustrations inédites pour le jeu. Pour Julien Heylbroeck, c’est sa formation d’historien spécialiste du communisme et du fascisme du vingtième siècle qui m’orienta vers lui : La Brigade chimérique se déroulant dans les années 1930, autant dire que son expertise allait être précieuse (et il avait déjà démontré sa capacité à traiter de thèmes sensibles avec intelligence dans WarsaW). Idem pour Stéphane Treille : historien et expert de l’extrême droite française des années 1930, il était pile dans le sujet et pouvait apporter son pointillisme et sa rigueur à notre équipe. Quant à Laurent Devernay, c’est un grand connaisseur de la culture comics et un scénariste émérite – deux qualités essentielles pour le projet.
Avec le recul, je pense avoir réuni l’équipe idéale pour cette adaptation précise. Le jeu s’est écrit rapidement, sans heurt, en bonne intelligence avec tous les acteurs impliqués et il est d’une cohérence artistique et éditoriale à toute épreuve – car chacun donna le meilleur de lui-même. Le succès du jeu (plus de 2 000 ventes pour le livre de base à ce jour) en témoigne.
En tant que chef de projet, vous aurez aussi la responsabilité de vous entourer de la bonne équipe. Interrogez-vous sur ce que chacun peut apporter (en qualité comme en défaut – il faut penser à tout). Ne vous limitez pas aux gens que vous connaissez, mais renseignez-vous sur ce que untel ou untel est capable de faire, quels sont ses points forts et ses points faibles. Intéressez-vous aux ludographies de divers acteurs du milieu afin de voir qui pourrait s’avérer précieux pour votre projet. Ce n’est pas du jeu de rôle, mais lorsque j’ai monté l’anthologie Dimension chevalerie chinoise chez Rivière blanche (un recueil de nouvelles dans l’esprit des récits d’arts martiaux chinois), j’ai contacté Nicolas Henry (auteur de Wulin) afin qu’il la copilote avec moi. Nous ne nous connaissions pas, mais je le savais grand érudit en matière de culture populaire chinoise et en effet, il apporta beaucoup à ce projet.
Avec la bonne équipe d’auteurs, votre travail de chef de projet sera grandement allégé. Constituer cette équipe n’est donc pas une étape à négliger – au contraire, il s’agit du terreau dans lequel votre jeu prendra ses racines. Autant donc qu’il soit le plus fertile possible.
5. Travailler sur une adaptation
À l’origine du jeu de rôle sur La Brigade chimérique, il y a évidemment la bande dessinée : mon projet était bien d’en faire une adaptation – c’est-à-dire en capter l’essence, le fond et la forme, tout ce qui m’avait passionné dans cette œuvre afin de la retranscrire via la grammaire du jeu de rôle autour d’une table. Il y aurait une thèse à écrire sur le sujet de l’adaptation d’une œuvre en jeu – aussi vais-je me borner à expliquer comment nous avons fait, concrètement.
Tout partait bien des auteurs de la bande dessinée, bien entendu. En premier lieu, nous leur avons demandé de nous expliquer leur œuvre – d’en dérouler l’ADN pour nous. Car il y avait beaucoup à en dire : La Brigade chimérique se veut une excavation d’un pan totalement oublié de la culture populaire européenne, de cette science-fiction un peu rétro qui produisit plus de 3 000 romans et nouvelles en une trentaine d’années. Plus que cela même, elle contient en filigrane une explication sur la fin de ce courant dit du merveilleux-scientifique – la montée du fascisme, la guerre, l’autocensure qui s’ensuivit… Serge Lehman notamment avait déjà écrit de nombreux articles sur le sujet, qui furent autant de sources précieuses pour nous.
Et si la bande dessinée en elle-même était notre source principale, nous avons aussi exploré le genre dont elle se réclamait. Grâce à des éditeurs comme Rivière blanche ou Flammarion, certains romans merveilleux-scientifique commençaient à être réédités : ils furent une matière première importante, car ils nous permirent de nous immerger dans la science-fiction telle qu’elle se concevait à l’époque, par ses auteurs phares (Rosny Aîné, Maurice Renard, Jean de la Hire, Paul Féval fils, etc.). Nous avons pu découvrir les aventures originelles du Nyctalope, de Judex, de Félifax et de tant d’autres : comparant avec la façon dont La Brigade chimérique les réinventait, nous comprenions le processus mis en œuvre dans la bande dessinée et pouvions dès lors le reproduire dans le jeu de rôle – et en enrichir ainsi grandement le contexte par ce jeu de recréation de figures fictionnelles et historiques.
Concernant les éléments qui n’étaient pas dans l’œuvre, mais que ses auteurs souhaitaient voir traités dans le jeu, là encore il nous fut fourni de nombreuses notes – en réalité, tout le travail préparatoire de La Brigade chimérique sous la forme de brouillons. De là, nous avons pu tirer une chronologie de cette histoire chimérique et les concepts expliquant la super-science et l’Hypermonde.
Et bien entendu, même métaphorique, la période historique de La Brigade chimérique avait bien son pendant dans notre réalité. Les années 1930, la crise économique, l’arrivée d’Hitler au pouvoir, la menace communiste à l’Est… Des données qu’il nous fallait aussi exploiter pour fournir une assise solide au jeu : le côté chimérique ne pouvait tenir que si le fond historique était le plus pertinent possible. Sans même parler des thèmes que cela nous fournissait : toute l’ambiguïté d’une époque particulièrement trouble à mettre en scène.
À partir de toutes ces données (la bande dessinée, son processus de création, ses éléments sous-entendus, le vivier dont elle puisa son inspiration, la période historique où elle prend place…), nous avons pu construire un jeu cohérent qui respecte parfaitement l’œuvre qu’il adapte – mais aussi les autres sources et à-côtés que nous avons utilisés pour l’écrire. Je pense que cela a aussi joué un rôle dans le succès du jeu : il ouvre sur des perspectives plus grandes grâce aux solides fondations dont nous l’avons doté.
De la même façon, si vous travaillez sur une adaptation d’œuvre : ne vous contentez pas de celle-ci. Parlez avec ses auteurs de leurs motivations à la créer, de leurs sources, de leurs intentions. Creusez autour : lisez / visionnez des œuvres appartenant au même genre ou traitant des mêmes thèmes. Interrogez-vous sur la façon de retranscrire tout cela en jeu de rôle – pas seulement dans l’écriture du background ou des règles, mais sur comment vous allez fournir les outils aux diverses tables pour jouer dans l’esprit de l’œuvre de base.
En ligne de mire, vous devez bien sûr avoir le soin de produire une adaptation qui satisfasse au mieux les auteurs originels – c’est la priorité. Mais rien ne vous interdit de profiter de la marge de manœuvre que vous aurez pu négocier pour élargir en vous appuyant sur toute la matière annexe. C’est souvent ce qui fait la richesse des meilleures adaptations en matière de jeu de rôle.
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