Ne (surtout) pas garder la tête hors de l’eau 1/2
Tant qu’à retourner dans la théorie, autant y aller à fond !
Contrairement à d’habitude, le calme de tartofrez n’est pas forcément synonyme de période d’inactivité ludique. Au contraire, comme évoqué dans le billet précédent, ces temps-ci sont rythmés par des tables et des jeux très différents. C’est l’occasion de sortir de ses habitudes et de se confronter à d’autres façons de faire et donc de se remettre en question. Ainsi, si les parties deDark Heresy sont aussi efficaces que classiques, celles des Chevaliers du Zodiaque semblent valoriser l’inverse de ce que je recherche d’habitude et sont pourtant très agréables (et il ne s’agit pas du plaisir défoulatoire qu’on peut avoir à refaire de temps en temps un scénario à l’ancienne sans prise de tête…c’est encore autre chose), et la campagne de BSG me met fasse à une situation que je n’avais jamais rencontrée en tant que meneur. Bref, de quoi cogiter et ce n’est pas plus mal.
Parallèlement, j’ai eu pas mal de discussions justement sur ce que je cherchais dans les parties et le sujet de l’immersion est donc souvent revenu sur le tapis. C’était l’occasion de ressortir une vieux fichier de mon disque dur, avec pas mal de « définitions » trouvées à gauche et à droite.
Avant de commencer, je précise juste deux choses. Tout d’abord, je ne peux pas tous les citer faute de toutes les avoir notées, mais la plupart des éléments ci-dessous ne viennent pas de ma petite tête d’insomniaque mais de publications scientifiques réputées « sérieuses », le plus souvent dans les domaines des arts de la scène, de la littérature ou du jeu vidéo. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas garder d’esprit critique, mais en général cela dépasse donc le stade de la simple divagation. Ensuite certains points relatifs à l’immersion font volontiers allusion au fait de ne pas percevoir le monde extérieur et d’une certaine façon, à une forme de déconnexion à la réalité. Il ne faut pas s’inquiéter, on parle ici d’une telle expérience dans un cadre donné, et qui n’en déborde pas. Je ne prendrai donc pas cinquante précautions pour expliquer qu’il n’est pas question ici de déviance, de folie ou de tout ce qui a pu donner une réputation sulfureuse au JdR.
Les concepts proches et les faux amis
L’immersion, finalement, c’est un peu comme le roleplay. On ne sait pas trop ce que ça veut dire. On sait juste que c’est bien et du coup on à tendance à l’utiliser pour un peu tout et n’importe quoi. Moi, comme les copains. Il y a donc pas mal de concepts proches qu’il vaut sans doute mieux isoler dès maintenant, pour que cela ne pollue pas la suite de ce billet.
La caractérisation : l’ensemble des traits de personnalité, des attributs (accessoires), des actions, des tics, etc… que l’on donne à un personnage pour le détailler en donc le rendre plus présent, vivant ou crédible. Et donc, par extension, le fait de détailler ces éléments. Cela peut être aussi bien imiter l’accent russe d’un méchant de James Bond 007 qu’utiliser toujours les mêmes prises de fin pour un catcheur. « Créer son perso » est donc la forme de caractérisation la plus basique pour les joueurs de JdR. Rajouter des détails et, par exemple, écrire un background ou une personnalité figé sur le dos de sa feuille n’est que continuer ce phénomène, par opposition au fait de les faire évoluer.
L’identification : le fait de reconnaître, consciemment ou pas, des caractéristiques d’un personnage ou d’une situation comme les siennes ou proche des siennes. Attention, il s’agit ici de s’identifier à son personnage, un peu comme on peut s’identifier à tel ou tel personnage de roman, et non de donner une identité ou une personnalité à un personnage existant. La confusion vient généralement de l’identification projective qui consiste à s’identifier à un personnage parce qu’on a projeté en lui des choses qui nous sont propres.
La passivité : le fait d’attendre que ce « cela se passe » et de ne prendre aucune décision, en se contentant de se laisser porter par les autres. C’est souvent difficile à discerner exactement car suivant les caractères (introverti/extraverti) et la volubilité des personnages, on peut très bien avoir un joueur muet durant toute la partie mais qui est tout sauf passif, par exemple parce que sa façon de participer au jeu est plus cérébrale que démonstrative. Paradoxalement, la passivité apparente peut être en fait l’expression d’une immersion assez poussée.
L’agentivité (agency) : la capacité de faire des choix et de les imposer au monde, ou, du moins, à en avoir l’impression. Cette notion est souvent assimilée à celles d’interactivité, de non linéarité et de liberté. Ce n’est pas rare qu’elle soit mise en avant comme le principal avantage du JdR par rapport à d’autres jeux (« on peut vraiment faire tout ce qu’on veut ») et que la première des choses qui limite l’immersion soit la fameuse suspension of disbelief.
Les 4 royaumes d’expériences : bien que paru dans une revue qui n’a a priori pas grand chose avoir avec le JdR, the Harvard Business Review, ce modèle identifie quatre types d’expériences qui peuvent correspondre à des phases de jeu différentes dans une partie, mais aussi à des attentes de la part des joueurs. Ses auteurs, Pinne et Gilmore, les séparent selon deux axes. Le premier, la participation, consiste à savoir si la récepteur est passif ou actif. Le second, la connexion, consiste essentiellement à différencier les cas où il est immergé dans ce qui est à l’origine de l’immersion (comme lors d’un concert) ou s’il n’absorbe que des choses qu’on lui restitue (comme lors du visionnage d’un DVD du même concert).
S’ils sont bien évidemment une classification un peu rapide, les 4 royaumes d’expérience sont les suivants :
– le divertissement, qui se caractérise par l’absorption passive d’une expérience pré-fabriquée ;
– l’éducation, qui correspond à une absorption active d’une expérience pré-fabriquée ;
– l’esthétique, qui est une immersion passive dans une expérience qui est en train d’avoir lieu ;
– l’escapisme (l’évasion par l’imagination), qui se caractérise par une immersion active qui génère elle-même l’expérience.
Bon, je ne détaille pas plus mais si ça vous titille, ça vaut le coup d’aller jeter un coup d’œil plus en profondeur ou que je fasse un billet là dessus.
Le flow : très souvent cité dans les articles en anglais, c’est un peu la tarte à la crème des théories sur l’immersion, mais n’hésitez pas à consulter wikipedia.
L’immersion…enfin, les immersions
Comme on pouvait s’y attendre, il existe de nombreuses définitions du concept de d’immersion. Il en existe en fait bien trop pour espérer en faire une synthèse unique qui ne soit pas polémique. En effet, on peut constater que si certaines parlent d’un état, d’autre parlent d’un processus, et donc absolument pas de la même chose. De plus, si on parle régulièrement d’immersion, on précise rarement dans quoi on s’immerge, et il est assez évident qu’être immergé dans une partie, dans une histoire ou dans un personnage ne voudra pas dire la même chose.
De plus, on distingue des degrés d’immersion (engagement/totale, etc.. ) et des types d’immersions qui varient beaucoup selon les modèles.
La définition générale
Si on se risque à une définition générale de l’immersion , en partant de celle de Janet Murray et en gardant bien en tête les réserves ci-dessus, l’immersion serait un état dans lequel certains éléments occuperait tellement notre esprit que l’on n’exercerait plus aucune médiation consciente et volontaire sur ceux-ci et que notre perception des données extérieures deviendrait secondaire. En gros, pour une partie de JdR, cela revient à dire qu’on est dans un état immersif lorsque l’on ne fait plus attention au fait qu’on joue, qu’on ne se voit plus en tant que joueur participant à la partie mais directement en tant que personnage et qu’on en oublie au moins partiellement le monde extérieur.
Les degrés d’immersion
Emily Brown et Paul Cairns ont mis en place un modèle qui définit trois degré d’immersion, qui sont en fait autant de niveaux d’implication.
– L’engagement qui correspond à un premier niveau d’investissement du joueur en temps, effort, concentration, etc… Le joueur veut continuer à jouer.
– L’absorption (engrossment) qui suit l’engagement et le prolonge : l’attention et les émotions du joueur sont désormais affectées directement par le jeu.
– L’immersion totale qui va jusqu’à créer un lien de compassion ou de sympathie entre le joueur et les personnages du jeu et faire ressentir l’atmosphère du jeu. Durant la partie au moins, le joueur n’est affectée que par celle-ci et est coupé de la réalité.
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